Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T2.djvu/206

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lui disant, à propos de son rôle de Prométhée souffrant : « Tu es plus grand, couché sur ton roc, avec les serres d’un vautour dans le cœur, que les faunes des bois dans leur liberté. Ils sont libres, mais ils ne sont rien, et tu ne pourrais être heureux à leur manière ». Mais, presque immédiatement après, elle dit aussi qu’il ne peut avoir rien de commun avec des hommes tels que, le « Voyageur ».

… « Marius dans les marais de Minturnes, à coup sûr, ne s’entretint pas avec les paisibles naïades. Hommes de bruit, ne venez pas mettre vos pieds sanglants et poudreux dans les ondes pures qui murmurent pour nous ; c’est à nous, rêveurs inoffensifs, que les eaux de la montagne appartiennent ; c’est à nous qu’elles parlent d’oubli et de repos, conditions de notre humble bonheur qui vous feraient rire de pitié ! Laissez-nous cela, nous vous abandonnons tout le reste, les lauriers et les autels, les travaux et le triomphe. Mon pauvre frère, j’aime mieux mon bâton de pèlerin que ton sceptre. »

Elle le plaint et s’incline devant lui, car il ne peut être autre qu’il est. Et le voyageur reprend : « … N’étant bon à rien qu’à causer avec l’écho, à regarder lever la lune et à composer des chants mélancoliques ou moqueurs pour les étudiants poètes et les écoliers amoureux, j’ai pris, comme je te le disais hier, l’habitude de faire de ma vie une véritable école buissonnière où tout consiste à poursuivre des papillons le long des haies, tombant parfois le nez dans les épines pour avoir une fleur qui s’effeuille dans ma main avant que je l’aie respirée, à chanter avec les grives et à dormir sous le premier saule venu, sans souci de l’heure et des pédants. Ce que je puis faire de mieux, c’est de planter à ton intention un laurier dans mon jardin. À chaque belle action que l’on me racontera de toi, je t’en