Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T2.djvu/208

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Dans la troisième lettre, du 18 avril, elle se défend de nouveau du reproche qu’il lui fait de son athéisme social :

« Tu dis que tout ce qui vit en dehors des doctrines de l’utilité ne peut jamais être ni vraiment grand ni vraiment bon. Tu dis que cette indifférence est coupable, d’un funeste exemple et qu’il faut en sortir, ou me suicider moralement, couper ma main droite et ne jamais converser avec les hommes. Tu es bien sévère ; mais je t’aime ainsi, cela est beau et respectable en toi. Tu dis encore que tout système de non-intervention est l’excuse de la lâcheté ou de l’égoïsme, parce qu’il n’y a aucune chose humaine qui ne soit avantageuse ou nuisible à l’humanité. Quelle que soit mon ambition, dis-tu, soit que je désire être admiré, soit que je veuille être aimé, il faut que je sois charitable, et charitable avec discernement, avec réflexion, avec science, c’est-à-dire philanthrope. J’ai l’habitude de répondre par des sophismes et des facéties à ceux qui me tiennent ce langage ; mais ici c’est différent, je te reconnais le droit de prononcer cette grande parole de vertu, que j’ose à peine répéter moi-même après toi… »

En exposant alors de nouveau son admiration sincère pour la personnalité morale du tribun, pour son rigorisme envers lui-même et pour les devoirs ascétiques auxquels il s’est astreint, elle exprime la conviction qu’avant d’essayer de régénérer l’humanité, de dicter des lois et de préconiser des bouleversements sociaux, tout réformateur, comme tout homme, devrait commencer par se régénérer soi-même, par se rendre parfait, par dompter ses passions égoïstes et viles, et qu’alors on aurait déjà beaucoup obtenu. En un mot, par ses convictions elle se range du côté des réformateurs moralo-socialistes et non du côté des politiques. Aussi est-il tout naturel qu’elle dise : « … Je comprends ce que tu es,