Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T2.djvu/211

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je ne suis propre à rien découvrir, à rien décider. J’accepterai tout ce qui sera bien. Ainsi, demande mes biens et ma vie, ô Romain ! mais laisse mon pauvre esprit aux sylphes et aux nymphes de la poésie… »

Elle revient alors à l’idée qu’elle avait déjà exprimée, que les hommes qui veulent dicter des lois, doivent être vertueux dans la plus haute acception du mot, tandis que les simples mortels n’ont besoin, pour ainsi dire, que d’une honnêteté civique : … « Je suis loin encore de ce qu’on appelle les vertus républicaines, de ce que j’appellerai, en style moins pompeux, les qualités de l’individu gouvernable ou du citoyen. J’ai mal vécu, j’ai mal usé des biens qui me sont échus, j’ai négligé les œuvres de charité, j’ai passé mes jours dans la mollesse, dans l’ennui, dans les larmes vaines, dans les folles amours, dans les frivoles plaisirs. Je me suis prosterné devant des idoles de chair et de sang, et j’ai laissé leur souffle enivrant effacer les sentences austères que la sagesse des livres avait écrites sur mon front dans ma jeunesse ; j’ai permis à leur innocent despotisme de dévouer mes jours à des amusements puérils, où se sont longtemps éteints le souvenir et l’amour du bien ; car j’avais été honnête autrefois, sais-tu bien cela, Everard ? Ceux d’ici te le diront : c’est de notoriété bourgeoise dans notre pays ; mais il y avait peu de mérite, j’étais jeune, et les funestes amours n’étaient pas encore écloses dans mon sein. Ils y ont étouffé bien des qualités ; mais je sais qu’il en est auxquelles je n’ai pas fait la plus légère tache au milieu des plus grands revers de ma vie, et qu’aucune des autres n’est perdue pour moi sans retour… J’ai été détourné de ma route, emmené prisonnier par une passion dont je ne me méfiais pas et que je croyais noble et sainte. Elle l’est sans doute ; mais je lui ai laissé