Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T2.djvu/277

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pière appesantie peut à peine supporter l’éclat du soleil levant. J’ai froid à l’heure où tout s’embrase ; j’ai faim et je ne puis manger, car l’appétit est le résultat de la santé, et la faim celui de l’épuisement ; ma vie est surchargée ; j’aime l’indolence et je n’ai pas une heure dont je puisse disposer à mon gré. Je hais mon métier, et lui seul me tire des embarras de la vie[1]… »

« Le 9 mai. — J’ai fait toutes mes corvées, mais je suis malade ce soir. Serai-je guérie demain ? Il le faut ; car il faut reprendre le boulet. Quel ennui ! Écrire depuis neuf heures du soir, jusqu’à sept heures du matin, et n’avoir pas une demi-heure pour l’écrire à mon aise, l’âme et le corps joyeux ! mais qu’importe le corps ? l’âme est contente… Moi je suis heureuse. Quel bien puis-je rêver sur la terre hors de toi ? Je suis tellement livrée à cette pensée, que je n’en saurais avoir d’autre. Je m’éveille, et avant d’avoir les yeux ouverts, j’étends le bras sur ma table pour voir s’il m’est arrivé une lettre de toi. Souvent je suis si accablée du travail de la veille que je n’ai pas encore la force de la lire. Je la serre dans mes mains, j’y colle mes lèvres, et fourrant tête, lettre et mains dans mon oreiller, je me rendors pour quelques instants avec mon trésor, calme, heureuse… »

  1. Comparer avec les lettres : à Jules Janin du 15 février 1837, à Liszt du 28 mars, à Scipion du Roure du 13 avril, à la comtesse d’Agoult des 10 et 21 avril de cette même année (Correspondance, t. II) et surtout aux passages qu’on trouve aux pages 49, 55, 62 et 65. « Vous n’imaginez pas, mon ami, quel dégoût m’inspire à présent la littérature (la mienne s’entend). J’aime la campagne de passion, j’ai comme vous tous les goûts du ménage, de l’intérieur, des chiens, des chats, des enfants par-dessus tout. Je ne suis plus jeune. J’ai besoin de dormir la nuit, et de flâner tout le jour. Aidez-moi à me tirer des pattes de Buloz et je vous bénirai tous les jours de ma vie !… » — écrit-elle à Janin le 15 février 1837. « Je suis accablée de travail, soyez assez bon pour faire passer à Buloz le manuscrit que je vous envoie » (à Liszt le 28 mars). « Je ne puis d’ici à deux mois me dépêtrer de Mauprat et d’une nouvelle qui suivra immédiatement pour compléter des volumes… le travail m’écrase, et mes forces ploient sous le faix. » (À Mme d’Agoult,