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petite bête sauvage, haïe de tout le monde, et haïssant chacun, de rejeton brutal, digne élève de ces derniers chevaliers coupe-gorge qui ne connaissaient que la rapine et la violence, ce Bernard Mauprat, par la force de son amour pour la fière, pure et généreuse Edmée, se transforme en homme cultivé et instruit, devient non seulement un brave et honnête citoyen, mais encore une individualité rare, capable de sacrifice, d’abnégation. Ce qui plus est, la force de cet amour modifie si complètement sa nature sans frein, qu’en finissant le récit de son existence, il peut s’écrier :

« Elle fut la seule personne que j’aimai dans toute ma vie : jamais aucune autre n’attira mon regard et ne connut l’étreinte de ma main. »

George Sand revient souvent, dans ses romans ultérieurs, à cette donnée de la rédemption, de l’éducation et de la purification de l’être humain par l’amour. Nous la retrouvons encore dans Nanon, Cadio, Valvèdre et les Maîtres sonneurs.

Dans Mauprat, la transformation morale et la renaissance de l’homme sous l’effet de l’amour et sous l’influence d’un être supérieur, sont peintes avec un talent extraordinaire. De jeune animal qui ne voulait rien connaître que la chasse et la table, Bernard devient d’abord une brute dangereuse, qui veut violemment se rendre maître de sa jeune cousine tombée entre ses mains, puis un homme sauvage et follement passionné, mais noble, mettant déjà l’amour au-dessus de la possession, et tâchant d’obtenir cet amour, assez gauchement, il est vrai, mais y travaillant quand même. Puis s’étant rendu compte de son ignorance complète et de ses défauts, il se met à étudier avec toute l’opiniâtreté de sa nature fougueuse ; il en arrive même à être pédant, orgueilleux de ses connaissances, et tombe dans