Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T2.djvu/465

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Elle est à Nohant depuis un an, fort triste, et travaillant énormément. Elle mène à peu près ma vie. Elle se couche à six heures du matin et se lève à midi ; moi, je me couche à six heures du soir et me lève à minuit ; mais, naturellement, je me suis conformé à ses habitudes, et nous avons, pendant trois jours, bavardé depuis cinq heures du soir, après le dîner, jusqu’à cinq heures du matin ; en sorte que je l’ai plus connue, et réciproquement, dans ces trois causeries, que, pendant les quatre années, précédentes, où elle venait chez moi quand elle aimait Jules Sandeau, et que quand elle a été liée avec Musset. Elle me rencontrait seulement, vu que j’allais chez elle de loin en loin.

« Il était assez utile que je la visse, car nous nous sommes fait nos mutuelles confidences sur Jules Sandeau. Moi, le dernier de ceux qui la blâmaient sur cet abandon, aujourd’hui, je n’ai que la plus profonde compassion pour elle, comme vous en aurez une profonde pour moi, quand vous saurez à qui nous avons eu affaire : elle en amour, moi en amitié.

« Elle a cependant été encore plus malheureuse avec Musset, et la voilà dans une profonde retraite, condamnant à la fois le mariage et l’amour, parce que, dans l’un et l’autre état, elle n’a eu que déceptions.

« Son mâle était rare, voilà tout. Il le sera d’autant plus qu’elle n’est pas aimable, et, par conséquent, elle ne sera que très difficilement aimée. Elle est garçon, elle est artiste, elle est grande, généreuse, dévouée, chaste ; elle a les traits de l’homme : ergo, elle n’est pas femme. Je ne me suis pas plus senti qu’autrefois près d’elle, en causant pendant trois jours à cœur ouvert, atteint de cette galanterie d’épiderme que l’on doit déployer en France et en Pologne pour toute espèce de femme.