Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T2.djvu/66

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faculté de s’adonner à toute idée à peine née dans l’imagination, faisait de tout soupçon une réalité, et pouvait faire succéder tout à coup aux minutes les plus heureuses des moments où il regardait son amante comme la dernière des femmes, et il était capable de la haïr sur les soupçons les plus honteux et les plus invraisemblables pour la porter ensuite au plus haut des cieux et l’adorer comme une divinité.

George Sand ne comprenait pas ces perpétuels changements. Elle aimait autrement. Douée d’un tempérament passionné, elle avait pourtant l’âme calme et bien pondérée. Elle ne savait point aimer sans croire et sans voir dans le bien-aimé le meilleur des hommes. Elle joignait à cela une bonté toute miséricordieuse, une grande patience, et aussi longtemps qu’elle ne vit dans les emportements de Musset que les défauts et les excès d’une poétique nature passionnée, elle n’y fit aucune attention. Mais le jour où elle vit enfin qu’ils étaient gens différents, qu’ils envisageaient les choses tout différemment, qu’ils les comprenaient autrement, qu’elle eut cessé de croire à Musset, l’éloignement et le refroidissement commencèrent à travailler imperceptiblement et inconsciemment son âme. Les relations entre les deux amants restèrent passionnées comme par le passé, mais leurs âmes ne vibraient plus à l’unisson. De là la tragédie qui s’ensuivit, de là la durée de cette tragédie, qui n’arriva pas de sitôt à son épilogue. Leur amour, de chaîne de roses qu’il était, devint une chaîne de fer, une chaîne meurtrissante, mais elle leur était si chère, que tous deux de longtemps encore ne purent la briser. Ils différaient tellement par leurs convictions, leurs goûts, leurs habitudes ! Au moment de leur liaison, Musset et George Sand n’avaient fait attention qu’aux grandes lignes