Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T3.djvu/205

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au premier poème, autant pour la profondeur de son idée principale, que pour l’ardeur du sentiment qui l’anime et la vivacité des images. Entre autres, Mme Sand reprochait à Goethe ce que les critiques du monde entier considèrent comme la plus sublime preuve de talent artistique : le vraisemblable, la vérité réaliste des caractères humains.

Ainsi Goethe, esclave du vraisemblable, dit-elle, — et c’est elle qui souligne, — c’est-à-dire de la vérité vulgaire, ennemi juré d’un héroïsme romanesque comme d’une perversité absolue, n’a pu se décider à faire l’homme tout à fait bon, ni le diable tout à fait méchant. Enchaîné au présent, il a peint les choses telles qu’elles sont, et non pas telles qu’elles doivent être. Toute la moralité de ses œuvres a consisté à ne jamais donner tout à fait raison ni tout à fait tort à aucune des vertus ou des vices que personnifient ses acteurs. Il vaudrait mieux dire encore que ses acteurs ne personnifient jamais complètement ni la vertu, ni le vice. Les plus grands ont des faiblesses, les plus coupables ont des vertus. Le plus loyal de ses héros, le noble Berlichingen, se laisse entraîner à une trahison qui ternit la fin de sa carrière, et le misérable Weislingen expire dans les remords qui l’absolvent. Il semble que Goethe ait eu horreur d’une conclusion morale, d’une certitude quelconque…[1].

Ces lignes sont plus propres à faire critiquer cette critique que le grand auteur de Gœtz. En général quoique l’article de George Sand sur les Dziady fît alors beaucoup de bruit, quoiqu’il rendît un immense service à Mickiewicz en le faisant connaître au grand public européen et en le mettant au rang des plus grands poètes du monde, et quoiqu’il soit cité, aujourd’hui encore, par les auteurs polonais et français, nous avons l’audace de considérer cet article de Mme Sand comme assez médiocre. Il est vague et prolixe, écrit en un style rappelant les écrits de Leroux, et point concluant. Ce qu’il a de plus clan, c’est l’enthousiasme et l’admiration sans bornes de l’auteur de Spiridion pour l’auteur de Wallenrod, admiration qui, certes, fut surtout soufflée par Chopin. C’est Chopin qui se fit envoyer

  1. Autour de la table, p. 136.