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Cette amie de Mickiewicz et de Sainte-Beuve, la poétesse suisse Mme Juste Olivier, écrivit dans son journal intime à la date du 5 mars 1842 :

Mickiewicz m’apporte une lettre de George Sand, fort aimable et croit que Chopin est son mauvais génie, son vampire moral, sa croix, qu’il la tourmente et finira peut-être par la tuer…

Et à la date du 8 mars elle écrit ainsi :

Visite chez Mme Sand. Elle est jolie, plus femme que dame ; cependant, par instants, plus ceci que je n’imaginais. Simple et bonne enfant au fond. Forte de corps et d’esprit, les doigts mignons et fort bien posés autour d’une cigarette, avec une grâce sans affectation. La mise unie, les yeux superbes et beaucoup d’individualité même dans l’arrangement si simple de ses cheveux noirs. Au fond d’une grande cour, un équipage armorié devant une petite porte et un escalier mesquin. Une servante dérangée, un peu souillon ; de petites pièces, des fleurs, des choses rares ; un air général de sans-façon dans la richesse. Elle déteste Paris et se croit pauvre…

Dans une lettre à son mari, à propos de cette même visite, Mme Olivier dit :

J’avais vu mardi Mme Sand, qui m’a fort bien reçue et que j’ai trouvée beaucoup plus jolie femme que je ne m’y attendais, mais aussi d’apparence plus forte et plus géniale que je n’aurais cru : le tout assaisonné d’une cigarette et d’un bout d’oreille qui montre à la fois du Pierre Leroux et du Rabelais. Elle est très bonne, simple, accueillante, et nous y dînons aujourd’hui, Mickiewicz et moi, pour entendre Chopin. N’ai-je pas du courage[1] ?

En racontant ce dîner du 11 mars, Mme Olivier émet, dans son journal intime, la pensée bien sûrement inspirée par Mickiewicz, qu’il est douteux que Chopin puisse faire le bonheur de George Sand, car, dit-elle, « c’est un homme d’esprit et de talent, charmant, mais de cœur, je ne crois pas ».

Il n’est pas probable que Chopin ait connu cette opinion de Mickiewicz sur son compte. Il avait pour le poète la même

  1. Léon Séché, Sainte-Beuve, t. II ; Ses Mœurs, chap. iii, Madame Juste Olivier, p. 109-111.