Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T3.djvu/641

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le procès, la malheureuse ne devint plus raisonnable. Et ce procès entre les époux Clésinger dura longtemps ; ils faisaient la paix, puis se querellaient de nouveau et en venaient aux procédés les plus impossibles. Tout cela rejaillissait sur l’enfant. Le père enlevait sa fille. La mère retenait tantôt l’enfant auprès d’elle, tantôt l’amenait, subitement, chez Mme Sand, l’y laissait sans prévenir la grand’mère, et filait elle-même vers Paris ; alors Clésinger revenait reprendre Nini pour la placer dans quelque pensionnat. C’est dans un de ces pensionnats que la pauvre fillette, âgée de six ans, mourut en 1855, des suites d’une scarlatine mal soignée. Le désespoir de Mme Sand et de Mme Clésinger fut sans bornes[1]. Solange ne se consola, ni n’oublia jamais. Ayant perdu sa fille, elle descendit la pente fatale sans être retenue par quoi que ce soit et presque avec ostentation. Ce fut l’unique vrai chagrin de toute sa vie.

Lorsqu’en 1899, après une existence solitaire, remplie d’aventures passagères et de liaisons intéressées, d’essais littéraires ratés et des spéculations financières les plus prosaïques, cette étrange femme mourut, elle recommanda de ne graver sur la pierre de son tombeau que les mots : « Solange Sand-Clésinger, mère de Jeanne. »

Quiconque a perdu un enfant est réconcilié par cette inscription avec la fille de George Sand, cette malheureuse ayant si follement et si volontairement manqué sa vie, une vie qui commençait aussi brillante !

Revenons au drame qui se joua en l’été de 1847 : il eut un épilogue et des suites doublement tristes pour Mme Sand.

  1. Nous raconterons plus loin comment George Sand, malgré tout son immense chagrin, sut, grâce à la flexibilité de sa nature, se rendre maîtresse de son désespoir, le combattit consciemment, voyagea, revint à son travail, donna même une forme littéraire — nous devons l’avouer carrément : très déplaisante et sonnant faux — à ses idées sur la mort et l’immortalité. (V. Souvenirs et Idées, p. 137. Après la mort de Jeanne Clésinger.) Ce qui plus est, elle ne put jamais comprendre la valeur et la signification des tristes anniversaires pour Solange et ne lui permit pas de venir à Nohant au jour anniversaire de la mort de la petite Nini, ne voulant pas, disait-elle, de ces « crises à heure fixe ». Hélas ! George Sand n’était, malgré tout, que l’aïeule de Jeanne, elle n’avait jamais perdu son enfant à elle ! La désolation de Solange fut plus simple et plus profonde.