Page:Keats - Poèmes et Poésies, trad. Gallimard, 1910.djvu/332

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Théa, je te devine plutôt que je ne vois ta face ;
Lève les yeux pour que j’y lise notre condamnation :
Lève les yeux et dis-moi si cette forme fragile
Est bien celle de Saturne ; dis-moi si tu reconnais
La voix de Saturne ; dis-moi si ce front ridé,
Nu et dépouillé de son haut diadème
Ressemble bien à celui de Saturne ? Qui eut la puissance
De me plonger en cette détresse ? d’où vint cette force ?
Comment fut-elle préparée pour éclater tout-à-coup
Pendant que le Destin semblait emprisonné dans ma nerveuse étreinte ?
Mais c’est ainsi ; me voilà anéanti,
Rejeté dans l’ombre, n’exerçant plus aucun pouvoir divin
Ni aucune influence favorable sur les pâles planètes,
Ni de contrôle sur les vents et sur les mers,
Ni d’action bienfaisante sur les moissons des hommes,
Et privé de faire tout ce qu’une Déité suprême
Accomplit pour soulager la tendresse de son cœur. Je suis chassé
De ma propre poitrine ; j’ai abandonné
Ma forte identité, mon moi véritable,
Quelque part entre le trône et le lieu où je suis assis,
Là à cet endroit de la terre. Cherche, Théa, cherche !
Ouvre tes yeux immortels, qu’ils embrassent
Tous les espaces : l'espace étoilé et celui qui est sans lumière,