Page:Kempis - L Imitation de Jesus Christ, traduction Lammenais, edition Pages, 1890.djvu/256

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Si vous parvenez à vous vaincre parfaitement, vous vaincrez aisément tout le reste.

La parfaite victoire est de triompher de soi-même.

Celui qui se tient tellement assujetti, que les sens obéissent à la raison, et que la raison m’obéisse en tout, est véritablement vainqueur de lui-même et maître du monde.

3. Si vous aspirez à cette haute perfection, il faut commencer avec courage et mettre la cognée à la racine de l’arbre, pour arracher et détruire jusqu’aux restes les plus cachés de l’amour déréglé de vous-même, et des biens sensibles et particuliers.

De cet amour désordonné que l’homme a pour lui-même, naissent presque tous les vices qu’il doit vaincre et déraciner ; et dès qu’il l’aura subjugué pleinement, il jouira d’un calme et d’une paix profonde.

Mais parce qu’il en est peu qui travaillent à mourir parfaitement à eux-mêmes, et à sortir d’eux-mêmes entièrement, ils demeurent comme ensevelis dans la chair, et ne peuvent s’élever au-dessus des sens.

Celui qui veut me suivre librement, il faut qu’il mortifie toutes ses inclinations déréglées, et qu’il ne s’attache à nulle créature par un amour de convoitise ou particulier.

RÉFLEXION.

Personne ne peut servir deux maîtres ; car, ou il aimera l’un et haïra l’autre, ou il s’attachera à l’un et méprisera l’autre[1]. Nous ne pouvons servir à la fois Dieu et le monde ; et la vie chrétienne consiste à s’affranchir de l’esclavage du monde, pour acquérir la liberté des enfants de Dieu[2]. Or la grâce combat en nous pour Dieu, contre la nature corrompue qui nous entraîne vers le monde : combat terrible dont on ne sort vainqueur qu’en mourant à soi-même. à ses pensées, à ses goûts, à ses inclinations ; et la mort corporelle, qui termine à jamais la lutte entre la nature et la grâce, est la dernière victoire du chrétien ; ce qui faisait dire à l’apôtre saint Paul : Qui me délivrera de ce corps mort ?[3] Exerçons-nous donc à mourir : détachons-nous entièrement de la terre et de toutes les choses de la terre ; détachons-nous de nous-mêmes, et ne vivons

  1. Matth. vi, 24.
  2. Rom. viii, 21.
  3. Rom. viii, 24.