Page:Kipling - Au hasard de la vie, trad. Varlet, 1928.djvu/132

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en chien ; d’autres mi-pendants comme des sacs à terre vides par-dessus les ridelles des charrettes à grain ; et d’autres recourbés le front sur les genoux — dans la clarté de la pleine lune. Ce serait déjà un soulagement s’il leur était donné de ronfler ; mais ils ne ronflent pas, et la ressemblance avec des cadavres est entière sous tous rapports, sauf un. Les chiens maigres les flairent et s’en vont. Çà et là un petit enfant est couché sur le lit de son père, et un bras protecteur l’entoure dans chaque cas. Mais, pour la plupart, les enfants dorment avec leurs mères sur les toits des maisons. Il n’est pas prudent de laisser les chiens pariahs à peau jaune et à crocs blancs rôder à portée des petits corps bruns.

Une bouffée de chaleur étouffante sortant de l’embouchure de la porte de Delhi met presque fin à ma résolution de pénétrer à cette heure dans la Cité de l’Épouvantable Nuit. C’est un salmigondis de toutes les mauvaises odeurs, animales et végétales, qu’une cité murée peut émettre en un jour et une nuit. La température à l’intérieur des immobiles bosquets de bananiers et d’orangers hors des murs de la cité, paraît glaciale en comparaison. Que le ciel vienne en aide cette nuit à tous les malades et aux jeunes enfants à l’intérieur de la cité ! Les hautes murailles des maisons irradient encore une chaleur féroce, et sortant d’obscurs goulets latéraux tournoient des brises fétides qui devraient être capables d’empoisonner un buffle. Mais les buffles ne s’en soucient pas. Il y en a un troupeau qui se pavane de temps à autre dans la grand’rue vide ; ils s’arrêtent