Page:Kipling - Au hasard de la vie, trad. Varlet, 1928.djvu/149

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

rant enfant des ténèbres du péché. Conduis-moi à cette loterie, bien que je ne voie pas du tout ce que ce méfait vient faire si loin de sa vraie place… qui est le bazar de charité de Noël, où la femme du colonel vous sourit de derrière la table à thé. » Là-dessus j’allai au hangar et découvris que c’était le jour de paye pour les coolies. Leurs salaires se trouvaient sur une table devant un gros et solide gaillard… un rougeaud de sept pieds de haut, quatre de large, et trois d’épaisseur, avec un poing comme un sac de blé. Il payait bel et bien les coolies, mais il demandait à chacun homme s’il voulait jouer à la loterie ce mois-ci, et chaque homme disait « Oui », comme de juste. Alors il déduisait de leur salaire en conséquence. Quand tous furent payés, il remplit à ras une vieille boîte à cigares de bourres de fusil et les dispersa parmi les coolies. Ils ne prenaient pas grand plaisir à ce jeu-là, et ce n’est guère étonnant. Un homme tout près de moi ramasse une bourre noire et s’écrie : « Je l’ai gagnée ! — Grand bien te fasse », que je lui dis. Le coolie s’avança vers ce gros gaillard rougeaud, qui écarta une bâche, découvrant ainsi la chaise à porteurs la plus somptueusement orfévrie, la plus émaillée de diables que j’aie jamais vue.

— Une chaise à porteurs ! Cache-toi la figure. C’était un palanquin. Tu ne reconnais donc pas un palanquin quand tu le vois ? dit Ortheris avec beaucoup de mépris.

— Et moi je l’appelle chaise à porteurs, et chaise à porteurs ce sera, mon petit homme, reprit l’Ir-