Page:Kipling - Au hasard de la vie, trad. Varlet, 1928.djvu/196

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a un temps pour toute chose, et je sais le moyen de maintenir chaque chose à sa place… excepté la boisson, qui, elle, me maintient à ma place, sans espoir d’arriver à devenir autre chose.

— Commencez par le commencement, insistai-je. Mme Mulvaney m’a raconté que vous l’aviez épousée à l’époque où vous logiez dans la caserne de Krab Bokhar.

— Celle-là même qui est une fosse à purin, dit Mulvaney avec ferveur. Elle vous a dit vrai, Dinah. C’est bien ça. À ce propos, avez-vous jamais été amoureux, monsieur ?

Je gardai le silence des damnés. Mulvaney reprit :

— Alors je suppose que vous ne l’avez pas été. Moi, si. Au temps de ma jeunesse, comme je vous l’ai déjà dit plus d’une fois, j’étais un homme qui attirait l’œil et enchantait leur âme. Jamais homme ne fut haï autant que je l’ai été. Jamais homme ne fut aimé comme moi… non, il s’en faut d’une bonne demi-journée de marche. Durant les cinq premières années de mon service, quand j’étais ce que je donnerais mon âme pour redevenir maintenant, je prenais tout ce qui se trouvait à ma portée et m’en accommodais, et il n’y a pas beaucoup d’hommes qui peuvent en dire autant. Je prenais de la boisson, et elle ne me faisait pas de mal. Par le creux du firmament, je savais batifoler avec quatre femmes à la fois, et les empêcher chacune de rien découvrir au sujet des trois autres, et sourire au milieu de tout cela comme une fleur de souci épanouie. Dick Coul-