Page:Kipling - Au hasard de la vie, trad. Varlet, 1928.djvu/197

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han, de la batterie que nous aurons sur le dos cette nuit, ne conduisait pas son attelage mieux que moi le mien ; et pourtant je détenais le pire bétail. Je vécus donc ainsi, heureux, jusqu’après cette affaire avec Annie Bradgin… elle qui me renvoya aussi froide qu’une glacière, et m’enseigna où j’en étais dans l’esprit d’une honnête femme. Ce fut une médecine peu agréable à avaler.

« Après cela je restai frappé un temps, et ne m’occupai plus que de mes devoirs régimentaires. Je me voyais déjà étudiant pour passer sergent, et major-général vingt minutes plus tard. Mais au plus haut de mon ambition il y avait dans mon cœur une place vide, que toute ma bonne opinion de moi-même ne pouvait remplir. Voilà que je me dis à moi-même : « Térence, tu es un grand homme et le mieux dressé du régiment. Continue à prendre de l’avancement. » Mais ce moi-même me répond : « Pourquoi faire ? » Je me dis à moi-même : « Pour la gloire que tu en retireras. » Moi-même me répond : « Est-ce que cela t’emplira tes deux robustes bras, Térence ? — Va-t’en au diable, que je dis à moi-même. — Va-t’en au quartier des ménages, que moi-même me répond. — C’est la même chose, que je dis à moi-même. — Bien sûr, si tu es le même homme », que moi-même me répond. Et là-dessus je réfléchis longtemps à cette idée. Avez-vous jamais éprouvé ça, monsieur ?

Pour que Mulvaney continuât il ne fallait pas l’interrompre ; aussi ne lui répondis-je que par un léger grognement ; autour des feux de bivouac les