Page:Kipling - Au hasard de la vie, trad. Varlet, 1928.djvu/198

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chanteurs rivaux des compagnies s’excitaient mutuellement, et le charivari s’élevait jusqu’aux étoiles.

— Voilà donc ce que j’éprouvais, et ce fut un mauvais moment à passer. Une fois, comme un imbécile, je m’en allai au quartier des ménages, moins pour une intrigue avec les femelles, que par désir de causer avec notre vieux sergent porte-drapeau, Shadd. J’étais alors caporal… cassé par la suite ; mais caporal alors. J’ai gardé une photo de moi qui le prouve. « Vous allez prendre une tasse de thé avec nous ? qu’il dit. — Je veux bien, que je réponds, quoique le thé ne soit pas ma distraction préférée. — Cela vaudrait mieux pour vous qu’il le soit », que me répond la vieille maman Shadd. Et elle devait le savoir, car Shadd, à la fin de son service, buvait comme un trou chaque soir.

« Là-dessus je retirai mes gants… il y avait dessus de la craie à les faire tenir debout tout seuls… et approchai ma chaise, en regardant autour de moi les potiches de porcelaine et les bibelots de l’appartement des Shadd. C’étaient des objets qui appartenaient à une femme, et pas de la camelote de camp, ici aujourd’hui et dispersés demain. « Vous êtes bien logés ici dedans, sergent, que je dis. — C’est l’ouvrage de la patronne, mon garçon », qu’il répond, en dirigeant le tuyau de sa pipe vers la vieille maman Shadd, et sur ce compliment elle lui donna une claque sur le dessus de son crâne chauve. « Cela veut dire que tu as besoin d’argent », qu’elle lui dit.