Page:Kipling - Au hasard de la vie, trad. Varlet, 1928.djvu/242

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militaires » et ils poussaient tous un profond soupir et levaient les yeux au ciel comme une poule qui boit.

— Et pourquoi ça ? demanda Mulvaney en abattant brusquement sa main sur sa cuisse. Au nom de Dieu, pourquoi ça ? J’ai vu ça aussi, moi. Ils trichent, ils fraudent, ils mentent, ils calomnient, et font cinquante choses cinquante fois pires ; mais le pis et le dernier de tout à leur compte c’est de servir loyalement la Veuve[1]. On croirait écouter des enfants… qui voient des choses autour d’eux.

— Ils en feraient du joli, ces gens-là, à combattre leurs bons combats et le reste, si on n’avait pas soin de leur réserver un endroit discret pour s’y battre. Ah ! ce sont de fameux combats que les leurs ! On dirait des chats sur les toits. C’est à qui excite l’autre à commencer. Je donnerais un mois de ma solde pour qu’on m’amène quelques-uns de ces bougres-là qui se carrent dans les rues de Londres et que je les fasse suer durant tout un jour et une nuit de pluie à travailler aux routes. Ils se comporteraient mieux par la suite… tout comme nous sommes censés le faire nous-mêmes. Ce n’est pas d’hier que j’ai été expulsé d’un louche bistrot quasi clandestin, là-bas du côté de Lambeth, plein de cochers de fiacre crasseux, conclut Ortheris avec un juron.

— Peut-être bien que tu étais saoul, dit Mulvaney pour l’apaiser.

— Pis que cela. C’étaient les collignons qui l’étaient. Moi, je portais l’uniforme de la Reine.

  1. La reine Victoria.