Page:Kipling - Au hasard de la vie, trad. Varlet, 1928.djvu/281

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À la fin l’excès de sa terreur panique le mit en démence au delà de tout courage humain. Les yeux fixés sur le vide, la bouche ouverte et écumante, et respirant comme dans un bain froid, il alla de l’avant, aliéné, et Dan avait peine à le suivre. La charge s’arrêta devant une haute muraille de terre. Ce fut Mulcahy qui, des dents et des ongles, l’escalada et se précipita à bas parmi les baïonnettes des Afghans stupéfaits qui lui barraient le chemin. Ce fut Mulcahy, suivant la ligne droite tel un chien enragé, qui entraîna une multitude d’âmes ardentes vers une batterie nouvellement démasquée, et s’élança lui-même à la gueule d’un canon tandis que ses compagnons trépignaient parmi les artilleurs. Ce fut Mulcahy qui dépassant cette batterie continua en une course éperdue dans la libre plaine, où l’ennemi se retirait par groupes consternés. Ses mains étaient vides, il avait perdu casque et ceinturon, et il saignait d’une blessure au cou. Dan et Horse Egan, haletants et à bout de forces, s’étaient déjà jetés à terre auprès des canons, lorsqu’ils virent la charge de Mulcahy.

— Il est fou, prononça Horse Egan. Fou de peur ! Ce n’est pas la peine de crier après lui, il s’en va droit à la mort.

— Qu’il y aille. Prends donc garde ! Si nous tirons nous risquons de l’attraper.

Un retardataire d’une foule d’Afghans en fuite, entendant derrière lui galoper des souliers ferrés, se retourna et se tint prêt à frapper de son coutelas. Ce n’était pas le moment, il le voyait, de faire des