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le second livre de la jungle

quarante acres d’étendue, à cinq ou six pieds plus bas que le niveau du reste du terrain. À courte distance, on eût pu prendre les blocs pour des phoques ou des morses, des traîneaux renversés ou des hommes en expédition de chasse, ou même pour le Grand Ours Blanc-Fantôme à Dix-Pieds en personne ; mais, en dépit de ces formes fantastiques, toutes comme sur le point de prendre vie, on n’entendait pas un bruit, ni même le plus faible écho d’un bruit. Et à travers ce silence et cette désolation où flottaient et s’évanouissaient de soudaines lumières, le traîneau et les deux jeunes gens qui le tiraient rampaient comme des choses de cauchemar — un cauchemar de fin du monde à l’extrémité du monde.

Lorsqu’ils se sentaient las, Kotuko bâtissait ce que les chasseurs appellent une « demi-maison », une hutte de neige très petite, dans laquelle ils se serraient avec la lampe de voyage, et ils tentaient de dégeler un peu de viande de phoque. Lorsqu’ils avaient dormi, ils reprenaient leur marche — trente milles par jour — pour n’avancer que de cinq milles au nord. La jeune fille se taisait presque toujours, mais Kotuko se fredonnait ou entonnait tout à coup des chansons qu’il avait apprises dans la Maison