Page:Krafft-Ebing - Psychopathia Sexualis, Carré, 1895.djvu/369

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serais capable de grandes et de nobles affections ainsi que d’abnégation. Mes idées ne sont point exclusivement charnelles ou morbidement sensuelles. Que de fois, à l’aspect d’un beau jeune homme, je suis saisi d’un sentiment profond et romanesque ! Et alors, je récite comme une prière ce beau vers de Heine :

« Tu es comme une fleur, si délicieuse, si belle, si pure, etc. »

Un jour que je dus me séparer d’un jeune homme que j’estimais et que j’appréciais, bien qu’il ignorât mon amour pour lui, ce furent les beaux vers de Scheffel qui me revinrent, ces beaux vers dont le dernier couplet – mutatis mutandis – résonnait surtout dans mon âme :

« Le monde est devant moi, gris comme le ciel. Mais que mon sort tourne au bien ou au mal ! – Cher ami, fidèle je pense à toi ; – Que Dieu t’ait en sa garde ! C’eût été trop beau ! – Que Dieu te protège ! Le sort en a décidé autrement. »

Jamais un jeune homme ne s’est encore douté de mon amour pour lui ; je n’ai porté à aucun un funeste préjudice au point de vue moral ; mais il y en a beaucoup à qui j’ai frayé le chemin ; alors je ne recule devant aucune peine, et je fais tous les sacrifices que je puis faire.

Quand j’ai l’occasion d’avoir auprès de moi un ami aimé, de le former, de le maintenir et de le protéger, quand mon amour, resté ignoré, est payé de retour (bien entendu par une affection non sexuelle), alors les sales images de mon imagination se dissipent. Alors mon amour devient presque platonique ; il s’ennoblit, pour retomber ensuite dans la fange, quand il ne lui est pas donné de se manifester dignement.

Je suis d’ailleurs, sans me flatter, un homme qui ne compte pas parmi les plus méchants. D’un esprit plus vif que la moyenne des gens, je prends part à tout ce qui émeut l’humanité. Je suis bon, doux et facile à apitoyer ; je ne ferais pas de mal à une bête et moins encore à un être humain ; au contraire, partout où je le peux, je fais le bien et des actions humanitaires.

Bien que, devant ma conscience, je ne puisse rien me reprocher et que je repousse vivement le jugement du monde sur nous, je souffre beaucoup. Il est vrai que je n’ai jamais fait de mal à personne et que je crois mon amour, dans ses manifestations nobles, un sentiment aussi élevé que l’amour des hommes normaux ; mais, avec le sort malheureux que nous prépare l’intolérance et l’ignorance, je souffre souvent très durement, au point d’être las de cette vie.