Page:Krafft-Ebing - Psychopathia Sexualis, Carré, 1895.djvu/370

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Il n’y a pas d’écrits ni de paroles qui puissent dépeindre toute notre misère, toutes nos situations malheureuses, la peur continuelle d’être découverts dans notre anomalie et d’être mis au ban de la société. La seule idée d’être découvert, de perdre sa position et d’être répudié par tout le monde, est plus pénible qu’on ne le croit. Alors tout ce qu’on aurait fait de bien serait oublié ; tout individu de prédisposition normale se rengorgerait, fort de son sentiment de haute moralité, même s’il eût agi le plus cyniquement en ce qui concerne son amour. Je connais plus d’un individu normal dont la frivolité en amour me semblera toujours difficile à comprendre.

Cependant, qu’importe notre misère ! Nous pouvons finir nos jours malheureux en maudissant l’humanité. En vérité, souvent j’aspire au calme de l’asile d’aliénés. Que ma vie finisse quand il le faudra ! Le plus tôt serait le mieux ; je suis prêt.

Pour passer à une autre question, je crois aussi, comme les autres qui vous ont écrit, que notre nervosité n’est que le résultat de notre existence malheureuse et infiniment misérable au milieu de la société humaine.

Et maintenant, encore une remarque. À la fin de votre ouvrage, vous parlez de la suppression de l’article du Code relativement à nos actes. Certes, par cette suppression l’humanité ne périra point. En Italie, comme je crois le savoir, il n’y a pas de paragraphe de ce genre. Et pourtant l’Italie n’est pas une contrée sauvage, mais un pays civilisé. Et moi qui suis obligé de saper ma santé par l’onanisme, je ne pourrais pas être atteint par la loi, dont jusqu’ici je n’ai violé aucun article. Pourtant je souffre de ce maudit mépris qui pèse sur nous. Mais comment l’opinion de la société pourrait-elle se modifier, tant qu’un article du Code la confirmera dans sa fausse moralité. La loi doit en tout cas répondre à la conscience du peuple, non pas à la conscience populaire qui est erronée, mais aux opinions des gens les mieux pensants et les plus instruits de la nation ; elle ne doit pas se régler sur les désirs et les préjugés d’une populace superstitieuse et obscure.

Les esprits perspicaces ne doivent pas persévérer plus longtemps dans les vieilles opinions à ce sujet.

Excusez-moi, Monsieur, de terminer sans me nommer. Ne cherchez pas après moi. Je ne pourrais rien ajouter qui soit digne d’être noté. Je vous remets ces lignes dans l’intérêt de mes compagnons de malheur. Publiez-en ce que vous croyez utile dans l’intérêt de la science, de la vérité et de l’équité.