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juger complètement l’objet de ses désirs jusqu’à l’anéantissement et même à le tuer[1].

Si ces deux éléments constitutifs se rencontrent, si le désir prononcé et anormal d’une réaction violente contre l’objet aimé s’unit à un besoin exagéré de subjuguer la femme, alors les explosions les plus violentes du sadisme se produiront.

Le sadisme n’est donc qu’une exagération pathologique de certains phénomènes accessoires de la vita sexualis qui peuvent se produire dans des circonstances normales, surtout chez le mâle. Naturellement, il n’est pas du tout nécessaire, et ce n’est pas la règle, que le sadiste ait conscience de ces éléments de son penchant. Ce qu’il éprouve, c’est uniquement le désir de commettre des actes violents et cruels sur les personnes de l’autre sexe, et une sensation de volupté rien qu’en se représentant ces actes de cruauté. Il en résulte une impulsion puissante à exécuter les actes désirés. Comme les vrais motifs de ce penchant restent inconnus à celui qui agit, les actes sadistes sont empreints des caractères des actes impulsifs.

  1. La conquête de la femme se fait aujourd’hui sous une forme civile, en faisant la cour, par séduction et en employant la ruse, etc. Mais l’histoire de la civilisation et l’anthropologie nous apprennent qu’autrefois et maintenant encore il est certains peuples chez qui la force brutale, le rapt de la femme, et même l’habitude de la rendre inoffensive par des coups de massue remplacent les sollicitations d’amour. Il est possible qu’un retour à l’atavisme contribue, avec de pareils penchants, à favoriser les accès de sadisme.

    Dans les Jahrbücher für Psychologie (II, p. 128), Schaefer (Iéna) rapporte deux observations d’A. Payer. Dans le premier cas, un état d’excitation sexuelle excessif s’est développé à l’aspect de scènes de bataille, même en peinture ; dans l’autre cas, c’est la torture cruelle de petits animaux qui produisit cet effet. Schaefer ajoute : « La combativité et l’envie de tuer sont, dans toutes les espèces animales, tellement l’attribut du mâle, que l’existence d’une connexité entre ces penchants mâles et les penchants purement sexuels ne saurait être mise en doute. Je crois cependant pouvoir assurer, en me fondant sur des observations qui ne sauraient être contestées, que, même chez des individus mâles doués d’une parfaite santé psychique et sexuelle, les premiers signes précurseurs, mystérieux et obscurs des désirs sexuels peuvent faire apparition à la suite de lectures de scènes de bataille ou de chasse émouvantes. Une poussée inconsciente pousse les jeunes gens à chercher une sorte de satisfaction dans les jeux de guerre (lutte corps à corps). Dans ces jeux aussi l’instinct fondamental de la vie sexuelle arrive à son expression : le lutteur cherche à se mettre en contact extensif et intensif avec son partenaire, avec l’arrière-pensée plus ou moins nette de le terrasser ou de le vaincre.