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avons du plaisir de les sentir exciter en nous, et ce plaisir est une joie intellectuelle qui peut aussi bien naître de la tristesse que de toutes les autres passions.[1] »

Aussi tandis que pour les pessimistes, la conscience psychologique est une cause d’irrémédiable douleur morale, pour Descartes elle est une fierté et une joie intellectuelle. Connaître sa tristesse la diminue, et c’est un allégement à la souffrance que se regarder souffrir. C’est là une extension ingénieuse et profonde de la maxime populaire ;


A raconter ses maux souvent on les soulage.


Or, l’analyse par la conscience est une conversation intérieure ; prendre conscience de ses maux c’est se les raconter à soi-même dans la langue muette de la pensée, ut ce récit solitaire est un soulagement. De même quand les poètes se mettent à chanter leurs peines c’est qu’ils sont à demi consolés.

L’optimisme cartésien a donc cette originalité qu’il vient de la conscience et de la volonté : il s’est communiqué à l’art classique par l’usage que celui-ci a fait de l’analyse psychologique. Le XVIIe siècle s’est complu à s’étudier, à se regarder vivre, à se décrire et à se peindre ; même quand le spectacle était triste ou laid, le plaisir de l’observer n’en a pas moins procuré aux observateurs cette « joie intellectuelle qui peut aussi bien naître de la tristesse que de toutes les autres passions. » La conscience cartésienne et l’art classique se rencontrent pour rendre aimable « le monstre odieux. »

  1. Des passions de l’âme. T. IV. p. 161.