Page:Kropotkine — Paroles d'un Révolté.djvu/335

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

ment, à cette époque, le paysan-propriétaire commençait à jouir d’une certaine prospérité, d’autant plus frappante qu’elle succédait à la misère du siècle dernier. Mais cet âge d’or de la petite propriété foncière est vite passé. Aujourd’hui le paysan possesseur d’un petit lopin joint à peine les deux bouts. Il s’endette, il devient la proie du marchand de bétail, du marchand de terre, de l’usurier ; le billet à ordre et l’hypothèque ruinent des villages entiers, bien plus encore que les impôts formidables prélevés par l’État et la commune. La petite propriété se débat dans les angoisses, et si le paysan garde encore le nom de propriétaire, il n’est, au fond, que le tenancier des banquiers et des usuriers. Il croit s’acquitter un jour de ses dettes, et en réalité elles ne font qu’augmenter. Pour quelques centaines qui prospèrent, on compte déjà des millions qui ne sortiront des étreintes de l’usure que par la révolution.

D’où vient donc ce fait établi, prouvé par des volumes de statistiques, — qui renverse complètement les théories sur les bienfaits de la propriété ?

L’explication en est bien simple. Elle n’est pas dans la concurrence américaine — le fait lui étant antérieur ; elle n’est même pas seulement dans les impôts : réduisez ceux-ci, — le procès se ralentira, mais il ne sera pas arrêté dans sa marche. L’explication est dans cet autre fait, que l’agriculture en Europe, après être restée pendant quinze siècles stationnaire, commence depuis une cinquantaine d’années à faire quelques progrès. Elle est encore, jusqu’à un certain point, dans les besoins croissants de l’agriculteur lui-même, dans les facilités d’emprunt que lui offrent la banque, l’usine, les courtiers, les hobereaux de la ville, pour