Page:Kropotkine — Paroles d'un Révolté.djvu/68

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l’idée révolutionnaire l’a laissé froid jusqu’à présent et, en l’absence d’idée, il croit en avoir trouvé une dans le réalisme, lorsqu’il s’évertue aujourd’hui à photographier en couleurs la goutte de rosée sur la feuille d’une plante, à imiter les muscles fessiers d’une vache, ou à dépeindre minutieusement, en prose et en vers, la boue suffocante d’un égout, le boudoir d’une femme galante.

Mais, s’il en est ainsi, que faire ? direz-vous.

— Si le feu sacré que vous dites posséder, n’est qu’un « lumignon fumant », alors vous continuerez à faire comme vous avez fait, et votre art dégénérera bientôt en métier de décorateur pour les salons du boutiquier, de pourvoyeur de libretti aux Bouffes et de feuilletons à un Girardin quelconque, — la plupart d’entre vous descendent déjà rapidement cette pente funeste…

Mais si réellement votre cœur bat à l’unisson avec celui de l’humanité, si, en vrai poète, vous avez une oreille pour entendre la vie, alors, en présence de cette mer de souffrances dont le flot monte autour de vous, en présence de ces peuples mourant de faim, de ces cadavres entassés dans les mines et de ces corps mutilés gisant en monticules au pied des barricades, de ces convois d’exilés qui vont s’enterrer dans les neiges de la Sibérie et sur les plages des îles tropicales, en présence de la lutte suprême qui s’engage, des cris de douleur des vaincus et des orgies des vainqueurs, de l’héroïsme aux prises avec la lâcheté, de l’enthousiasme en lutte avec la bassesse — vous ne pourrez plus rester neutre ; vous viendrez vous ranger du côté des opprimés, parce que vous savez que le beau, le sublime, la vie enfin, sont du