Page:Kropotkine - L Entraide un facteur de l evolution, traduction Breal, Hachette 1906.djvu/131

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ment de la solidarité dans la tribu et les bons sentiments envers leurs semblables qui animent les primitifs pourraient être prouvés par un très grand nombre de témoignages dignes de foi. Et cependant, il n’est pas moins certain que ces mêmes sauvages pratiquent l’infanticide ; qu’en certains cas ils abandonnent leurs vieillards, et qu’ils obéissent aveuglément aux règles de la vengeance du sang. Il nous faut donc expliquer la coïncidence de faits qui, pour un esprit européen, semblent si contradictoires à première vue. J’ai déjà dit que le père Aléoute se privera pendant des jours et des semaines pour donner tous les vivres qu’il possède à son enfant, et que la mère Bushman se faisait esclave pour suivre son enfant ; et on pourrait remplir des pages entières en décrivant les relations vraiment tendres qui existent entre les sauvages et leurs enfants. Sans cesse les voyageurs ont l’occasion d’en citer des exemples. Ici vous lisez la description du profond amour d’une mère ; là vous voyez un père se livrant à une course folle à travers la forêt, emportant sur ses épaules son enfant mordu par un serpent ; ou bien c’est un missionnaire qui raconte le désespoir des parents à la mort du même enfant que, nouveau-né, il avait sauvé de l’immolation, quelques années auparavant ; ou bien vous apprenez que la « mère sauvage » nourrit généralement ses enfants jusqu’à l’âge de quatre ans, et que, dans les Nouvelles-Hébrides, à la mort d’un enfant particulièrement aimé, sa mère ou sa tante se tue pour prendre soin de lui dans l’autre monde[1].

Des faits semblables se rencontrent en quantité ; de sorte que, lorsque nous voyons ces mêmes parents affectionnés pratiquant l’infanticide, nous sommes obligés

  1. Gill, cité dans l’Anthropologie de Gerland et Waitz, V, 641. Voir aussi pp. 636-640, où sont cités beaucoup de faits d’amour paternel et d’amour filial.