Page:Kropotkine - L Entraide un facteur de l evolution, traduction Breal, Hachette 1906.djvu/241

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Les seigneurs furent forcés de jurer allégeance à la cité ; leurs châteaux dans la campagne furent démolis, et ils durent bâtir leur maison et résider dans la cité, dont ils devinrent com-bourgeois (con-cittadini) ; mais ils conservèrent en retour la plupart de leurs droits sur les paysans, qui n’obtinrent qu’un soulagement partiel de leurs redevances. Les bourgeois ne comprirent pas que des droits de cité égaux pouvaient être accordés aux paysans, sur lesquels ils avaient à compter pour trouver les approvisionnements ; et le résultat fut qu’un abîme profond se creusa entre la ville et le village. En certains cas les paysans changèrent simplement de maîtres, la cité achetant les droits des barons, et les vendant par parts à ses propres citoyens[1]. Le servage fut maintenu, et ce n’est que beaucoup plus tard, vers la fin du XIIIe siècle, que la révolution des artisans entreprit d’y mettre fin et abolit le servage personnel, mais déposséda en même temps les serfs de la terre[2]. Il est à peine besoin d’ajouter que les résultats funestes d’une telle politique furent bientôt sentis par les cités elles-mêmes ; la campagne devint l’ennemie de la cité.

La guerre contre les châteaux eut une autre conséquence fatale. Elle entraîna les cités dans une longue suite de guerres entre elles ; et cela a donné naissance à la théorie, en vogue jusqu’à nos jours, que les villes perdirent leur indépendance par suite de leurs

  1. Ceci semble avoir été souvent le cas en Italie. En Suisse, Berne acheta même les villes de Thun et de Burgdorf.
  2. Ce fut au moins le cas dans les cités de Toscane (Florence, Lucques, Sienne, Bologne, etc.) dont les relations entre cité et paysans sont les mieux connues (Lutchitzkiy, « Servitude et serfs russes à Florence », dans les Izvestia de l’Université de Kiev de 1885 ; l’auteur cite Rumohr, Ursprung der Besitzlosigkeit der Colonien in Toscana, 1830). — Tout ce qui concerne les relations entre les cités et les paysans aurait cependant besoin de beaucoup plus d’études qu’on n’en a faites jusqu’à présent.