Page:Kropotkine - Mémoires d’un révolutionnaire.djvu/187

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catastrophe n’avait pas une cause purement accidentelle.

La Trinité et le jour du Saint-Esprit sont de grandes fêtes en Russie et, à part quelques gardiens, il n’y avait personne sur le marché. D’autre part le marché d’Apraxine et les chantiers de bois avaient pris feu au même instant, et l’incendie de Pétersbourg fut suivi de désastres analogues dans plusieurs villes de province. Le feu avait été mis par quelqu’un, mais par qui ? Cette question reste encore aujourd’hui sans réponse.

Katkov, un ex-libéral, qui était animé de la haine de Herzen et surtout de Bakounine, avec qui il avait dû une fois se battre en duel, accusa le lendemain même du sinistre les Polonais et les révolutionnaires russes d’avoir mis le feu ; et cette opinion prévalut à Pétersbourg.

La Pologne se préparait alors à la révolution qui éclata au moins de janvier suivant ; le comité révolutionnaire secret avait conclu une alliance avec les réfugiés de Londres et il avait des intelligences dans le cœur même de l’administration pétersbourgeoise. Très peu de temps après la catastrophe, un officier russe tira sur le gouverneur de la Pologne, le Comte Lüders ; et lorsque le grand-duc Constantin fut nommé à sa place (avec l’intention, disait-on, de faire la Pologne un royaume à part dont il eût été le souverain) on tira immédiatement aussi sur lui (26 juin 1862). Un attentat semblable eut lieu en août contre le marquis Wielepolsky, le chef polonais du parti russophile de l’Union. Napoléon III et l’Angleterre entretenaient chez les Polonais l’espoir d’une intervention armée en faveur de leur indépendance. Dans de telles conditions, en se plaçant au point de vue militaire étroit, on aurait pu considérer comme de bonne guerre de détruire la Banque de Russie et quelques ministères, et de jeter la panique dans la capitale. Mais on ne put jamais trouver la moindre apparence de preuve pour soutenir cette hypothèse.

D’un autre côté, les partis avancés de Russie voyaient qu’on ne pouvait plus fonder aucun espoir sur l’initiative