Page:Kropotkine - Mémoires d’un révolutionnaire.djvu/348

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se leva de sa chaise et dit simplement : « Allons. » Elle parlait d’une voix si simple, si exempte d’affectation que je sentis tout à coup combien j’avais agi légèrement et je lui dis la vérité. Elle retomba sur sa chaise, les larmes aux yeux, et me demanda d’une voix désespérée : « Ce n’était qu’une plaisanterie ? Pourquoi faites-vous de telles plaisanteries ? » Je compris alors pleinement la cruauté de mes paroles.

* * *

Un autre favori, aimé de tous les membres du cercle était Sergheï Kravtchinsky, qui devint si célèbre en Angleterre et aux États-Unis, sous le nom de Stepniak. On l’appelait souvent « l’Enfant » — tant il se préoccupait peu de sa propre sécurité ; mais cette insouciance en ce qui le concernait provenait simplement de ce qu’il ignorait complètement la peur, ce qui, après tout, est souvent le meilleur moyen d’échapper aux recherches de la police. Il devint bientôt très connu à cause de la propagande qu’il faisait dans les cercles d’ouvriers sous son véritable prénom de Serge et il fut naturellement recherché activement par la police. Malgré cela, il ne prenait aucune précaution pour se cacher et je me souviens qu’un jour il fut sévèrement blâmé à une de nos réunions pour une grave imprudence dont il s’était rendu coupable. Étant en retard à une de nos assemblées, comme cela lui arrivait souvent, et ayant une longue distance à parcourir pour arriver jusqu’à la maison, il avait couru au trot, vêtu d’une pelisse de mouton comme un paysan, tout le long d’une grande rue fréquentée, en se tenant au beau milieu de la chaussée. « Comment avez-vous pu faire cela ? » lui demandait-on d’un ton de reproche. « Vous auriez pu éveiller les soupçons et vous faire arrêter comme un voleur. » Mais je souhaiterais que chacun se fût montré aussi prudent que lui quand il s’agissait d’affaires où d’autres personnes pouvaient être compromises.

Nous fîmes d’abord plus intimement connaissance à propos du livre de Stanley, Comment j’ai retrouvé