Page:Kropotkine - Mémoires d’un révolutionnaire.djvu/364

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et sortis. Un seul fiacre était à la porte : j’y montais rapidement. Le cocher se dirigea vers la Perspective Nevsky. Je ne fus pas poursuivi tout d’abord et je me crus sauvé : mais j’aperçus alors une autre voiture qui nous suivait à toute vitesse ; notre cheval fut retardé, je ne sais comment, et l’autre fiacre — découvert, comme le sont les fiacres à Pétersbourg — nous rejoignit.

A mon grand étonnement, j’y vis l’un des deux tisserands arrêtés, en compagnie d’une autre personne. Il fit un signe de la main comme s’il voulait me dire quelque chose. Je dis à mon cocher d’arrêter. « Peut-être, pensais-je, a-t-il été relâché et il a une importante communication à me faire. » Mais à peine étions nous arrêtés que l’homme assis à côté du tisserand — c’était un agent de police — me cria : « Monsieur Borodine — Prince Kropotkine, je vous arrête ! » Il fit signe aux agents, qui fourmillent sur cette grande artère de Pétersbourg, et en même temps il sautait dans ma voiture et me montrait un papier portant l’estampille de la police secrète de Pétersbourg : « J’ai l’ordre de vous conduire devant le gouverneur général pour lui fournir une explication, » dit-il. Toute résistance était impossible — quelques agents de police nous entouraient déjà — et je donnai l’ordre à mon cocher de tourner bride et d’aller à la maison du gouverneur général. Le tisserand, qui était resté dans sa voiture, nous suivit. Il était évident que la police avait hésité pendant dix jours à m’arrêter, parce qu’elle n’était pas sûre que Borodine et moi nous n’étions qu’une seule et même personne. Ma réponse à l’appel du tisserand avait levé les derniers doutes.

Il arriva aussi que juste au moment où j’allai quitter ma maison un jeune homme venant de Moscou m’apporta une lettre de la part de mon ami Voïnaralsky et une autre de Dmitri, adressée à notre ami Polakov. La première m’annonçait la création à Moscou d’une imprimerie clandestine et était pleine de nouvelles précieuses concernant l’activité de notre parti dans cette ville. Je la