Page:Kropotkine - Mémoires d’un révolutionnaire.djvu/394

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transmis à l’autorité judiciaire et nous fûmes en conséquence transférés à la prison dépendant du Tribunal, ou Maison de Détention.

C’était une immense prison modèle, de construction récente, bâtie sur les plans des prisons de France et de Belgique, et consistant en quatre étages d’étroites cellules ; chaque cellule avait une fenêtre donnant sur la cour intérieure et une porte ouvrant sur un balcon de fer. Les balcons de chacun des divers étages étaient reliés entre eux par des escaliers de fer.

Pour la plupart de mes camarades ce changement de prison était un grand adoucissement à leurs peines. Il y avait là beaucoup plus de vie que dans la forteresse ; plus de facilité pour correspondre, pour voir ses parents et entretenir des relations réciproques. Les coups frappés contre les murs se succédaient tout le long du jour sans qu’on fût dérangé, et je pus par ce moyen raconter à mon jeune voisin l’histoire de la Commune de Paris depuis le commencement jusqu’à la fin. J’y employai, il est vrai, toute une semaine.

Quant à ma santé, elle était encore plus mauvaise qu’elle n’avait été dans les derniers temps de mon séjour à la forteresse. Je ne pouvais supporter l’atmosphère lourde de l’étroite cellule, qui ne mesurait que quatre pas d’un coin à l’autre et dans laquelle, dès que le calorifère à vapeur commençait à fonctionner, la température passait sans transition du froid glacial à une chaleur intolérable.

Étant forcé de tourner si souvent, j’avais le vertige après quelques minutes de marche, et dix minutes d’exercice au-dehors, dans le coin d’une cour entourée de hautes murailles de briques, ne suffisaient pas à me délasser. Quant au médecin, qui ne voulait pas entendre parler de « scorbut » « dans sa prison », mieux vaut n’en rien dire.

On m’autorisa à faire venir ma nourriture de chez une de mes parentes, mariée à un avoué, qui demeurait par hasard à quelques pas du tribunal. Mais ma diges-