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Chapitre III


LES SERFS. — VIE DE FAMILLE ET RELATIONS MONDAINES. — LE CARÊME ET LA FÊTE DE PAQUES EN RUSSIE. — SCÈNES DE LA VIE DES SERFS. — DÉPART POUR LA CAMPAGNE. — SÉJOUR À NIKOLSKOIÉ.


En ces temps-là, la fortune des seigneurs fonciers se mesurait au nombre d’âmes qu’ils possédaient. Âmes signifiait serf du sexe fort : les femmes ne comptaient pas. Mon père, qui possédait environ douze cents âmes, dans trois provinces différentes, et qui avait, outre les tenures de ses paysans, de larges étendues de terre cultivées par eux, passait pour un homme riche et vivait en conséquence, c’est-à-dire que sa maison était ouverte à tous et qu’il avait de nombreux domestiques.

Notre famille se composait de huit, parfois de dix ou douze personnes. Mais cinquante domestiques à Moscou et vingt-cinq autres à la campagne, cela ne paraissait pas excessif. Quatre cochers pour douze chevaux, trois cuisiniers pour les maîtres et deux cuisinières pour les serviteurs ; douze valets pour nous servir à table (un valet, l’assiette en main, debout derrière chaque convive), et d’innombrables filles de service dans la chambre des servantes — pouvait-on se contenter de moins ?

D’autre part l’ambition de chaque seigneur foncier