Page:Kropotkine - Mémoires d’un révolutionnaire.djvu/505

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peut-être plus encore que l’action démoralisatrice des prisons sur les détenus. Quel foyer d’infection est chaque prison, et même chaque tribunal, pour ceux qui les entourent, pour les gens qui vivent dans leurs voisinage ! Lombroso a fait beaucoup de bruit autour du « type du criminel », qu’il croit avoir découvert parmi les pensionnaires des geôles. S’il avait observé avec la même attention les gens qui gravitent autour d’un tribunal — agents secrets, espions, avocats marrons, délateurs, attrape-nigauds, etc., il serait probablement arrivé à cette conclusion que son « type de criminel » n’est pas confiné entre les murs des prisons, et que son domaine est beaucoup plus vaste. Je n’ai jamais vu une collection de visages d’une humanité plus ignoble et plus inférieure à la moyenne du type humain, que celle que je vis autour et à l’intérieur du palais de justice de Lyon, où ces gens rôdaient par douzaines. Je n’ai certainement rien rencontré de pareil dans l’enceinte de Clairvaux. Dickens et Cruikshank ont immortalisé quelques-uns de ces types ; mais ils représentent tout un monde qui gravite autour des tribunaux et contamine tout ce qui se trouve autour de lui. Et cela est vrai de toutes les maisons centrales, comme celle de Clairvaux. Toute une atmosphère de menus vols, de petites escroqueries, d’espionnage et de corruption de tous genres se répand de tous côtés, pareille à une tache d’huile, autour de chaque prison. J’ai vu tout cela, et si je savais déjà avant ma condamnation que le système actuel de répression est mauvais, j’avais appris en quittant Clairvaux, que ce système est non seulement mauvais et injuste, mais que c’est une pure folie de la part de la société d’entretenir à ses frais, inconsciemment ou dans une feinte ignorance de la réalité, ces « universités du crime » et ces sentines de corruption, sous ce prétexte qu’elles lui sont nécessaires pour refréner les instincts criminels de quelques hommes.