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quelque profond mystère dont elle ne voulait pas soulever le voile ; elle ne fit aucune interrogation, ne laissa pas échapper une plainte et courba la tête sous sa destinée ; elle se savait frappée au cœur.

M. de Larcy voulut la distraire ; il lui proposa les voyages, ce remède des légères afflictions. Mais la jeune fille opposa une résistance opiniâtre à toutes les instances du comte et de la marquise de Veyle ; elle resta à Blenneville tout entière à sa douleur et à la torture des anciens souvenirs.

Elle vécut ainsi seule avec ses pensées, comparant le bonheur rêvé à la triste destinée qui lui était échue en partage ; son esprit ne parcourait plus l’idéal horizon de ses naïves espérances ; il était en quelque sorte rivé au souvenir de Formose par la double chaîne de la souffrance et de l’amour.

Chaque jour elle allait se promener sur cette limite du parc qui lui rappelait les premiers battements de son cœur ; elle contemplait d’un œil triste et voilé l’allée où elle l’avait vu tant de fois au premier éveil de son amour ; elle restait ainsi rêveuse et immobile jusqu’à ce que la voix de son oncle vînt l’arracher à cette vision de son bonheur passé.

Après cinq mois de cette vie affreuse, elle tomba mortellement malade. L’heure de la délivrance était arrivée.

M. de Larcy, courbé sous sa propre souffrance, Mme de Veyle, pâlie par des veilles, étaient auprès du lit de la jeune fille dont le visage portait déjà l’empreinte de la mort ; elle venait de recevoir les derniers sacrements.

La marquise se tenait agenouillée ; le comte comprimait les sanglots qui débordaient de son cœur oppressé. Le délire s’était emparé de Mlle d’Orion ; elle appelait Formose.

En ce moment, un homme entrait dans la chambre, et se précipitait vers le lit de la mourante qu’il tenait embrassée.

La jeune fille le regarda longtemps en silence, puis elle s’écria, la figure illuminée d’un reflet céleste et en se relevant par un dernier effort convulsif :

— Formose !… c’est lui !… Ah ! je savais bien que nous nous reverrions dans le ciel !

Elle expira avec un sourire d’ange sur les lèvres.

Formose, car c’était lui, ne pouvait s’arracher du cadavre de sa fille.

Lorsqu’il détourna les yeux de ce lit de douleur, il se précipita dans les bras de M. de Larcy. Après la mort de son amie, la marquise reprit la route de Paris, tourmentée elle-même par une secrète amertume.

Il ne reste plus à Blenneville que le comte et la duchesse, une ruine en face d’une autre ruine.

Quant à Formose, le jour même de la mort de Mlle d’Orion, il avait sans doute repris le chemin, de la solitude éternelle.

Edm. Texier d’Arnout.
Engraving for the 1844 edition of Prince Formose
Engraving for the 1844 edition of Prince Formose