Page:L'Écho des feuilletons - 1844.djvu/98

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les fourrés les plus épais ; puis elle attendit L’étranger étonné semblait hésiter ; mais ma mère le fit un signe qui voulait dire : j’y suis bien venue, qui l’empêcherait d’y venir ?

« Alors l’étranger se précipita, plutôt qu’il ne descendit, par le même chemin, et rejoignit ma mère. Elle examina si sa blessure n’avait pas souffert de ce mouvement violent. Le bandage n’était pas dérangé, et l’étranger ne souffrait pas davantage. Alors ma mère recommença à se glisser parmi les herbes et les broussailles, et au bout d’un instant elle disparut ; l’étranger poussa un cri, croyant qu’elle était tombée dans le précipice ; mais en même temps, il entendit des paroles prononcées d’une voix douce, et, regardant à ses pieds, il vit ma mère, dont la tête semblait sortir du rocher, lui sourire doucement. Il comprit alors qu’elle était entrée dans une crevasse qui n’était plus qu’à quelques coudées de lui. Il continua donc à descendre avec précaution, en s’attachant aux plantes du bras qui n’était pas blessé.

« Bientôt il eut dépassé le bas du fourré, et son pied, suspendu en l’air, cherchait un endroit où s’appuyer, mais ne le trouva pas. Il fit un mouvement pour remonter ; mais ma mère, lui parlant encore doucement pour l’encourager, saisit son pied avec force, et, l’attirant de son côté, le posa sur une pierre large et forte. L’étranger, devenu confiant dans l’adresse de sa libératrice, lui tendit son second pied. Elle le prit encore, le guida comme la première fois, et le posa sur l’endroit où elle était elle-même debout ; puis, saisissant de ses deux bras le corps de l’étranger, elle le fit venir à elle.

« L’étranger regarda autour de lui, et voyant qu’il était à l’entrée d’une caverne, il prononça quelques paroles avec joie ; puis, entourant ma mère de son bras qui n’était pas blessé, il la serra fortement sur sa poitrine, et lui donna un long baiser. Ma mère ne dit rien, ne fit aucun mouvement ; mais quand il la lâcha, elle se pencha comme une morte vers le précipice, et elle serait tombée si l’étranger ne l’eût retenue d’une main rigoureuse. Il la fit asseoir par terre, et se penchant vers elle avec inquiétude, il se mit à lui frotter les mains et la tête. Mais au bout d’un instant elle se releva, et, lui prenant la main, elle recommmença à marcher avec lui.

« À mesure qu’ils avançaient, la pâle lumière de la lune diminuait ; et bientôt, perdus dans une obscurité profonde, ils ne purent plus se guider qu’en s’appuyant au rocher ; mais ils ne marchèrent pas longtemps. Au bout de quelques instants, ils arrivèrent dans une vaste caverne, à demi éclairée par la lune, parce que le toit était formé de rochers énormes, qui, en roulant de la montagne voisine, étaient venus se placer les uns au-dessus des autres, et avaient laissé entre eux des jours étroits.

« Là, ma mère fit asseoir l’étranger sur un sable blanc et fin comme le pagne dont se revêt une vierge le jour de ses noces, et partagea avec lui les deux bananes qu’elle avait emportées dans un pli de sa robe pour son repas du lendemain. Ils burent ensemble à une petite source qui coulait dans un coin de la caverne, puis ils se séparèrent en se faisant des signes d’amitié.

« Ma mère avait jugé prudent de s’en retourner, parce que la nuit était avancée, et qu’elle avait tout juste le temps de rentrer dans sa case. Elle croyait que le lendemain les guerriers étrangers viendraient à la recherche du fugitif, et elle ne voulait pas que les soupçons se portassent sur elle, qui était son seul espoir de salut. Elle sortit donc de la caverne, remonta sur le chemin en s’accrochant à toutes les pointes de rocher, et reprit le chemin de la vallée. Arrivée à la case, elle ouvrit doucement la porte, se coucha sans bruit sur sa natte, et se coucha tranquille, parce qu’elle seule connaissait l’entrée de cette caverne qu’elle avait découverte en poursuivant un iguane.

« Le lendemain, le chef du vaisseau fit demander une entrevue aux chefs de l’île, qui étaient chargés du gouvernement pendant l’absence du roi Tamea-Mea, qui se trouvait alors à l’île Hawaï. L’entrevue eut lieu sur des barques, au milieu de la rade. Le chef du vaisseau expliqua par signes ce qui s’était passé, et demanda la permission de poursuivre le fugitif. Les chefe, après s’être consultés, lui donnèrent tous une plume de leur coiffure, et lui accordèrent la permission de poursuivre le fugitif ; et même, comme ils avaient entendu dire à leurs pères que les guerriers blancs étaient très redoutables dans leur colère, ils firent crier dans l’île que le fugitif était maudit, et que celui qui le cacherait serait puni de mort.

« Les recherches des étrangers commencèrent le même jour, et durèrent huit autres jours. Le matin, les matelots envoyés à la poursuite du fu-