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LA FILLE

enfant, si jeune et tant pleurer, si belle et avoir tant de chagrins ! Là ! là !

— Et pourtant si heureuse ! ajouta Julienne.

— Heureuse ? Julienne, heureuse un peu.

— Pourquoi ? n’a-t-elle pas tout ce qu’il lui faut ?

— C’est vrai, mais n’est-ce pas chucotant au moins pour elle de n’pas connaître encore les affaires de son père, de n’pas savoir queu rang elle tient dans le monde ? Son père est riche, Julienne, c’est vrai ; mais comment amasse-t-il son argent ? Il y a à présent tant de… que sais-je enfin ?

— Que voulez-vous dire ?

— C’que j’veux dire, Julienne ; ma foi, j’veux dire qu’un homme qui se cache comme M. Jacques et qui a toujours comme lui sa bourse bien garnie, ne peut faire rien de bien relevé.

— Vous pensez ça ?

— N’ai-je pas raison de l’penser ?

— Comme ça, dit Julienne en remuant la tête ; mais t’nez, je pense, moi, que mademoiselle Helmina a d’autre chose encore sur le cœur ; à son âge, voyez-vous, on commence à avoir des chagrins de jeune fille.

— Des chagrins de jeune fille ? qu’est-c’que t’entends par là, Julienne ?

— J’entends que mademoiselle Helmina peut avoir de l’amour. À seize ans, voyez-vous, on dit qu’c’est le bon temps pour ça.

— Mais comment veux-tu qu’elle aime ? la pauvre enfant, jamais elle ne voit personne ici ; v’là c’qui m’chagrinerait bêtement à sa place : par exemple, on sait bien c’que c’est à la fin, on aime à avoir des amis quand on est jeune.

— Et qui vous a dit que dans les promenades qu’elle a faites avec son père, elle n’a pas rencontré quelqu’un qui lui plût ?

— Ça s’pourrait, ça s’pourrait, Julienne. Oh ! pour le coup, ça s’rait ben terrible pour elle d’aimer quelqu’un et de ne pouvoir le lui dire ; pauvre Helmina ! mais je l’saurai, oui, elle me l’dira certainement.