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DU BRIGAND
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la triste nécessité de ne vivre qu’avec des étrangers, de ne pas dépasser la borne de cette campagne, sans être épiée dans toutes mes démarches, dans mes regards même par un père qui ne me perd pas de vue ?

« Oh ! Julienne, si vous saviez comme je souffre, lorsque dans les promenades que je fais avec mon père, je rencontre des jeunes filles qui se promènent seules dans la ville, vont où elles veulent, parlent à qui elles veulent, rient, s’amusent avec de jeunes messieurs ; si vous saviez comme je souffre, Julienne ! Je me dis en moi-même : ces demoiselles ne manquent de rien, elles voient tout ce qu’il y a de plus curieux et de plus beau, elles sortent quand elles veulent. Pourquoi n’en ferais-je pas autant, pourquoi ne serais-je pas aussi heureuse qu’elles ? J’aime tant le monde, moi, Julienne ; j’aime tant le plaisir !

— Où étiez-vous avant ? demanda Julienne.

— En pension chez une bonne femme qui m’a élevée ; oh ! je l’aimais bien ! Elle est morte un mois après que je l’eusse laissée.

— A-t-elle laissé des enfants ?

— Un garçon seulement ; je ne sais ce qu’il est devenu.

Ici minuit sonna à la vieille horloge.

— Déjà minuit ! Julienne, dit Helmina. Dieu ! comme le temps passe vite. Couchons-nous, Julienne, tout le monde dort ici ; si Madelon nous entendait encore, elle nous gronderait. Bonne nuit, Julienne !


CHAPITRE V

LES BRIGANDS DU CAP-ROUGE


Le Cap-Rouge, à l’époque où notre histoire se passe, était un lieu maudit et redouté de tout Québec ; c’était, suivant l’opinion d’un grand nombre, une forêt enchantée qui enfantait les brigands, et les rejetait ensuite sur la cité pour exercer leurs ravages et leurs rapines ; c’était là que le démon