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LA FILLE

tenait son conseil, qu’il méditait le crime, marquait ses victimes. C’était l’épouvantail dont se servait la superstition pour inspirer l’amour de la vertu et l’horreur du vice.

Tous les soirs, disaient les vieillards, on voyait tout autour du bois des feux souterrains qui s’échappaient du sein de la terre, des fantômes qui se répandaient dans les champs, et s’exerçaient au vol, au meurtre ! Tantôt c’étaient des cadavres que l’on voyait suspendus à tous les arbres et qui semblaient gémir et maudire leurs meurtriers ; tantôt c’étaient des spectres qui prenaient toutes sortes de formes, des bêtes féroces qui s’entre-déchiraient ; et puis on entendait des hurlements, des pleurs, des sanglots, des jurements continuels : tel était le tableau que les bonnes femmes inventaient, dans leurs superstitions, en parlant du Cap Rouge.

Cependant nous dirons que le Cap Rouge avait une réputation si horrible et si effrayante que personne n’aurait osé, sans se faire taxer de folie et d’imprudence, le traverser dans la nuit.

Ce soir-là, le Cap-Rouge était paisible, mais c’était un silence effrayant : on apercevait à travers les branches une petite fumée noire mêlée d’étincelles et qui sortaient d’un tuyau placé sur une espèce de hutte sauvage à moitié creusée dans le roc et recouverte d’arbres secs et de feuillage jauni, qui laissait échapper de l’intérieur une lueur pâle et sombre. Trois hommes fumant dans de longues pipes allemandes, étaient nonchalamment assis sur des bancs de mousse, autour d’une vieille et large souche qui leur servait de table.

Tout autour de ce repaire étaient suspendus des sabres, des échelles, des cordes, des fusils, des pistolets, des couteaux, des crampons de fer et de gros paquets de clés, le tout dans le meilleur ordre possible.

Nos brigands se regardaient de temps en temps sans rien dire et semblaient méditer quelque nouveau forfait.