Page:L'œil ouvert ! - Bourassa et l'Anti-Laurierisme, 1911.djvu/50

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prêt à laisser élire leurs candidats. Alors, les ouvriers s’organisent en groupe, pour faire entendre leur voix dans le grand public. C’est une prétention légitime et constitutionnelle.

Mais, quel prétexte pourra donc invoquer un particulier qui n’a ni mission à montrer, ni griefs individuels à faire corriger, ni intérêts personnels à défendre ? Il s’écriera : « Mais, mes convictions ! ma conscience ! » Très bien ; mais, alors, ses convictions, sa conscience sont seules contre quarante ou cinquante autres consciences qui se sont consultées et ont mûrement délibéré. Lui, simple et jeune député, se pose du coup, comme l’adversaire et le juge du Premier Ministre, à la sagesse duquel sont confiées les destinées du pays. Donc, lui seul est infaillible, lui seul a de l’œil pour la conduite de nos affaires publiques. Voilà la négation la plus absolue du système parlementaire anglais, qui veut voir le pays conduit par les partis.

Il n’y a, en effet, de garantie, de sauvegarde pour la chose publique que dans l’existence des partis. Et, plus les partis sont forts, bien organisés, plus cette chose publique est protégée. Tuez l’esprit de parti, et, il ne reste plus que l’anarchie en politique. Chacun a le même droit que son voisin de faire prévaloir son opinion. La belle situation que nous aurions si tous, les uns après les autres, allaient courir les campagnes pour dire aux électeurs ahuris : « Ce n’est pas M. Bourassa qu’il faut croire ; c’est moi tout seul. M. Bourassa n’est qu’un mouton qui suit aveuglément M. Armand Lavergne ! Et, même, M. Lavergne n’est qu’un outil entre les mains de M. Paquet ! »

Les partis ont une force incommensurable, parce qu’ils sont le fruit d’une sagesse commune. Croit-on, par exemple, que Sir Wilfrid Laurier se conduit en autocrate avec ses amis ? Il est plus en état que tous d’apprécier une situation, parce que tous les renseignements convergent vers lui. Il reçoit les approbations et les désapprobations. Les députés à « l’esprit indépendant » ne manquent jamais de lui faire valoir leurs objections. Il pèse, il juge : il fait une moyenne de « pour » et de « contre » ; et, en définitive, il consulte la masse de ses partisans dans ce qu’on appelle un CAUCUS. Là, tout le monde donne sa façon de penser, sans réticences et sans ambages. Le député « indépendant » y a un beau rôle à jouer. Puis, la réunion adopte une décision quelconque, résultante de toutes les bonnes têtes réunies. Sortis de la salle, les membres les plus récalcitrants se soumettent au jugement de la majorité.

Telle est la véritable INDÉPENDANCE, qui éclaire un parti sans le ruiner. Elle vaut cent fois celle du particulier qui se contente de dire : « Tous les autres sont des imbéciles ; moi seul suis doué de la raison irrécusable et irréfragable. »

Si, dans notre société absolument démocrate, quelques-uns aiment un dictateur, qu’ils suivent cet homme-là ! ils ne s’embêteront pas à discuter sur les intérêts du pays et ne perdront pas leur temps à tirer des plans. Les choses leurs arriveront toutes mûries de ce cerveau puissant qui ne se trompe jamais.


LA PEUR DES ÉLECTIONS


BORDEN — : Sauvons-nous, les v’là !


LA LOYAUTÉ DE M. BOURASSA.

UNE IMPOSSIBILITÉ POLITIQUE.


Relevant une accusation de déloyalisme portée contre lui par le « Chronicle » de Québec, M. Bourassa écrit dans son journal.

« Les hommes de bonne foi connaissent la nature et le nombre des idées positives que j’ai formulées ou appuyées depuis quinze ans, soit dans la politique fédérale, soit dans la politique provinciale. »

Nous ne croyons pas que le public de bonne foi voie si clair que cela dans les opinions de M. Bourassa et dans le programme qu’il préconise.

Lorsqu’il a fondé son groupe nationaliste, nombre de gens ont cru trouver dans ses discours la voie vers une politique nouvelle, à plusieurs invitante, encore qu’incomplètement définie.

Mais, tandis qu’il promettait de bouleverser l’ordre de choses existant à Québec, il a trouvé en sir Lomer Gouin un adversaire qui l’a maté. En trois sessions, il a diminué plutôt que grandi le prestige de l’opposition. Ses tirades, ses grands discours ont eu l’effet de coups de bâton dans l’eau.

Au lieu de faire clairement voir quel but il veut atteindre, tout ce qu’a dit et fait M. Bourassa n’a fait qu’enténébrer la conception première que le public s’était formée de l’idéal nationaliste.

Depuis sa tapageuse entrée dans l’arène provinciale, il n’a commis que des violences de langage.

Dans le débat, sur la marine, il a tout fait pour soulever l’une contre l’autre les deux races qui habitent en ce pays.

Il faut qu’il soit totalement aveuglé pour croire qu’il aboutira à réconcilier à ses intransigeantes théories, nos compatriotes des provinces anglaises.

Il rêve l’impossible, parce que la politique qui doit prévaloir dans une nation constituée comme la nôtre, ne doit pas, comme sa politique à lui, considérer comme méprisables les honorables compromis, les concessions mutuelles nécessaires pour en-