Page:L'Ermitage, revue de littérature et d'art, janvier à juin 1905.djvu/104

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Sa voix s’arrêta l’espace de dix ou douze aspirations, puis il se mit à marmotter une prière d’un genre quelconque en grec. La femme indigène pleura fort amèrement. Enfin, il se souleva dans son lit et dit, de sa voix haute et lente :

— Innocent !

Puis il retomba en arrière, et la stupeur s’empara de lui jusqu’à ce qu’il mourût. La femme indigène courut dans le sérail, parmi les chevaux, et poussa des cris et se frappa les seins ; car elle l’avait aimé.

Peut-être le dernier mot de sa vie racontait-il par quoi Mac Intosh avait passé jadis, mais, sauf la grosse liasse de vieux cahiers dans le morceau d’étoffe, il n’y avait rien dans sa chambre pour dire qui il fut ou ce qu’il fut.

Les papiers étaient dans un désordre désespérant.

Strickiand m’aida à les classer, et déclara que l’auteur était le plus fieffé menteur ou le plus étonnant personnage qui fût. Il penchait pour le premier. Un de ces jours, il se peut que vous soyez à même d’en juger. La liasse demandait à être considérableinent expurgée, et était pleine d’absurdités grecques, en tête des chapitres, qui ont toutes été retranchées.

Si la chose se trouve jamais publiée, il y aura peut-être quelqu’un pour se rappeler cette histoire, imprimée aujourd’hui comme sauvegarde, afin de prouver que c’est Mac Intosh Jellaludin, et non pas moi-même, qui écrivit le Livre de Mère Mathurin.

Rudyard KIPLING
(Traduit par Louis Fabulet et Arthur Austin-Jackson).