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tillèrent en rond plus que jamais, au son de l’instrument du tailleur Brodersen, tandis que la poussière montait en nuages vers le plafond, et que le poêle s’ébranlait sous la cadence des pas. Les assistants aussi se multiplièrent. On venait parfois de chez le pasteur : la fille de celui-ci, le vicaire et le chantre voulaient voir. Mlle Irène dansait alors pour donner l’exemple ; la poitrine bombée, la jambe tendue elle tournait sous les deux lampes suspendues à la poutre.

— Les pieds en avant… mes enfants, en avant, comme cela ! et Mlle Irène lançait les pieds, en relevant sa robe.

Le public était là !

Chaque semaine Mlle Irène envoyait à Copenhague l’ouvrage qu’elle avait effectué à l’aide du crochet ; c’était l’instituteur qui était chargé de cette commission, car c’était lui qui s’occupait du courrier. Chaque fois le paquet était mal fait et l’adresse incorrectement écrite et l’instituteur devait de nouveau remettre le tout en ordre. La danseuse pendant ce temps demeurait debout, souriait timidement comme une fillette de quinze ans.

L’instituteur, lorsque le courrier arrivait, étalait les lettres et les journaux sur son pupitre afin d’en faciliter la distribution. Un jour Mlle Irène demanda si on voulait bien lui permettre de jeter un coup d’œil sur Berlingski-Journal[1] ; avant de risquer cette requête la danseuse avait contemplé pendant huit grands jours le tas des journaux, sans avoir osé formuler sa demande. Elle vint ensuite tous les jours vers midi et l’instituteur devinait aussitôt sa présence à la façon délicate dont la visiteuse frappait du doigt à la porte.

— Entrez ma petite demoiselle, disait–il aussitôt, le bureau est ouvert.

Elle allait de suite prendre Berlingski parmi les journaux. Elle parcourait d’abord les annonces des théâtres, et lisait aussi les critiques auxquelles elle ne comprenait absolument rien : mais qu’importe ! cela concernait les amis de là-bas.

Elle mettait un long temps à parcourir une colonne de la feuille, et de son index elle suivait gracieusement chaque ligne du texte.

Le journal lu, l’instituteur demandait à la danseuse.

— Eh bien ! y a-t-il quelque chose de nouveau à la ville ?

— Oh non ! je voulais seulement lire quelques lignes sur les amis de là-bas. Vous savez : les vieilles habitudes.

— Pauvre petiote ! disait l’instituteur en la regardant s’éloigner et Mlle Irène rentrait travailler à son crochet.

  1. Journal officiel du Danemark. (Note des traducteurs).