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— Voyez-vous mademoiselle, ces personnes n’ont pas le goût du tragique.

Mlle Irène ne pouvait arriver à rompre le silence ; devant la maison du maréchal, elle s’inclina en tendant la main. La fille du pasteur l’entoura de ses bras et, l’embrassant, elle dit d’une voix mal assurée : Bonsoir mademoiselle !

Le vicaire et elle restèrent sur la route et ne se décidèrent à partir que lorsqu’ils eurent vu la lumière dans la chambrette de la danseuse.

Mlle Irène enleva sa robe de barêge et la plia. Elle sortit l’argent des enveloppes, le compta et le serra précieusement dans une petite pochette de son corsage. Assise devant sa bougie, elle se sentit toute gauche en tirant l’aiguille pour réparer ses pauvres hardes.

Le lendemain, elle chargea son panier à champagne sur la voiture publique ; comme il pleuvait elle s’accroupit sous un vieux parapluie, replia ses jambes sous ses jupes et ainsi assise sur son panier, elle donna libre cours à ses pensées.

Le cocher marchait à côté de la voiture, traînée par une rosse et ne pouvant supporter plus d’un voyageur. Tout à coup l’on vit arriver sur la route la fille du pasteur, tenant un panier blanc à la main. Ne fallait-il pas, comme elle disait, quelques provisions pour le voyage. Puis elle se pencha sous le parapluie, prit Mlle Irène par le cou et l’embrassa deux fois.

Cette marque d’amitié émut la vieille danseuse. Elle éclata en sanglots, et, saisissant la main de la jeune fille, elle la baisa.

La demoiselle du pasteur resta sur la route et regarda le vieux parapluie s’éloigner aussi longtemps qu’elle put l’apercevoir.

Mlle Irène avait ouvert un « Cours de printemps pour danses de salon », dans une paroisse voisine. Six élèves s’étaient inscrits. Elle s’était rendue en cette localité pour y continuer ce que l’on appelle la vie.


HERMAN BANG.

Traduit du danois par le Vte Colleville et F. de Zepelin.