Page:L'Humanité nouvelle, année 4, tome 2, volume 7.djvu/141

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le joyeux sacrifice de soi-même, la nouvelle éloquence et la gravité du jeune adepte qui a été sauvé d’une vie sans but et automatique par la parole de l’Évangile du socialisme.

En décrivant séparément les illusions dramatiques et les illusions religieuses, je ne perds pas de vue le fait que la plupart des hommes sont sujets aux unes et aux autres, tout comme la plupart des hommes civilisés vont et au théâtre et à l’église, quoique certains hommes peuvent n’aller qu’à l’un et pas à l’autre. Mais confondues ou séparées, ces illusions sont les moyens les plus efficaces par lesquels le socialisme s’est emparé de ses disciples. Des versions dramatiques et religieuses plus grossières et plus étroites du problème social sont encore déchaînées contre elle, mais le caractère plus large, plus humain, plus varié, et plus intéressant de la version socialiste, son optimisme, sa puissance à mettre le bonheur et le royaume céleste du pays du rêve à une portée vivante, palpable, et le pouvoir qu’elle gagne à son contact et à sa relation constante avec les expériences et les faits contemporains, lui donnent une apparence de modernité et de possibilité d’être mise en pratique, quand on la compare aux conceptions plus barbares et plus imaginaires qu’elle remplace. Mais elle n’en est pas moins illusoire ; et plus les chefs socialistes cèdent à la tentation de s’abandonner sans souci à l’enthousiasme et aux louanges qu’elle suscite, plus ils sont certains, quand arrive l’instant de faction, de se trouver repoussés par son opiniâtreté. Car, lorsque la réalité se présente enfin aux hommes qui ont été nourris de ces illusions dramatiques, ils ne la reconnaissent plus. Son aspect prosaïque les révolte ; et puisqu’elle doit nécessairement aboutir à de maigres « paiements à terme » estropiés chacun par les compromis inévitables qui ont dû être faits forcément avec de puissants intérêts hostiles, son avènement n’a ni la grandeur splendide ni l’intégrité absolue de principes nécessaires à les graver dans l’esprit, aux points de vue dramatique et religieux. C’est pourquoi, ou bien ils l’ignorent dédaigneusement, ou bien ils s’allient avec l’ennemi pour la combattre violemment. Et ce qui est pis encore, pour empêcher que de tels scandales ne se reproduisent, et pour maintenir la pureté de leur croyance, ils commencent à émettre de sévères règles d’orthodoxie, à excommunier les socialistes, consciencieusement scientifiques, à confier la direction de leurs organisations à des orateurs et à des prédicateurs, en un mot à développer tous les symptômes de ce que les Français appellent l’« Impossibilisme ».

La première condition d’une illusion est, naturellement, que sa victime la prenne pour la réalité. Les illusions dramatiques et religieuses du socialisme, dans leurs formes extrêmes, sont trop grossières et souvent en opposition trop évidente avec l’expérience, pour en imposer à un homme intelligent qui se trouve en présence du travail politique pratique et de la responsabilité. Quoique bien peu de socialistes de nos jours gagnent suffisamment d’expérience pratique pour être entièrement guéris de l’Impossibilisme, des cures partielles ont cependant lieu fréquemment ; Il ne faut pas considérer les socialistes soit comme des Possibilistes absolus, soit comme des Impossibilistes absolus. Il n’est pas plus vrai pour le socialisme que pour toute autre chose que