Page:L'Humanité nouvelle, année 4, tome 2, volume 7.djvu/142

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tout ce qui n’est pas blanc doit être noir. Chaque gradation de croyance, depuis le rêve le plus informe jusqu’à la pratique la plus sceptique, est représentée dans le mouvement socialiste. Dans les sections extrêmes, de la Social-Democratic Federation, dans le groupe Communiste-Anarchiste de l’Independant Labour Party, et dans les groupes anarchistes, on rencontrera les illusions dramatiques et religieuses telles que je les ai décrites. À l’autre extrémité, vous rencontrerez le Fabien qui déclare tout simplement qu’il n’y aura aucune révolution ; qu’il n’existe pas de lutte de classes ; que les travailleurs salariés sont beaucoup plus conventionnels, plus remplis de préjugés et plus bourgeois que la classe moyenne elle-même ; qu’il n’y a pas un seul pouvoir légal démocratiquement constitué en Angleterre, sans en excepter la Chambre des communes, qui ne serait pas beaucoup plus progressive si elle n’était retenue par la crainte du vote populaire ; que Karl Marx n’est pas plus infaillible qu’Aristote ou Bacon, Ricardo ou Buckle, et qu’il a commis comme eux des erreurs qui sont maintenant évidentes pour n’importe quel étudiant non diplômé ; qu’un socialiste déclaré n’est moralement ni meilleur ni pire qu’un libéral ou un conservateur ni un ouvrier qu’un capitaliste ; que l’ouvrier peut changer le système gouvernemental actuel s’il le désire, tandis que le capitaliste ne le peut pas, parce que l’ouvrier ne le lui permet pas ; que c’est un sot contresens de déclarer que les classes ouvrières, sont affamées, avilies et maintenues dans l’ignorance par un système qui accable le capitaliste de victuailles, d’éducation et de raffinements, et en même temps de prétendre que le capitaliste est un misérable à l’esprit étroit et sordide, tandis que l’ouvrier est un philanthrope élevé, éclairé et magnanime ; que le socialisme arrivera par l’établissement graduel de règlements publics et d’une administration publique mise en vigueur par les parlements, assemblées, municipalités et conseils ordinaires ; et qu’aucun de ces règlements n’amènera de révolution ou n’occupera plus de place dans le programme politique de son temps qu’une loi pour régler les fabriques ou le scrutin ne le fait maintenant : en un mot, que la part du socialiste sera un labeur politique acharné, pour lutter non contre les machinations malveillantes du capitaliste, mais contre la stupidité, l’étroitesse, en un mot l’idiotie (en donnant au mot son vrai sens précis et original) de toutes les classes, et particulièrement de la classe qui souffre actuellement le plus de notre système existant.

Entre ces deux extrêmes se trouvent tous les socialistes reconnus et convaincus, et un grand nombre de socialistes non reconnus et inconscients. Rangeons-les comme sur une gamme musicale, montant de l’illusion grossière peu à peu à l’illusion très critique. Bientôt nous nous apercevrons que la vraie gamme est celle du développement intellectuel, de l’expérience politique, de la capacité pratique, de la force de Caractère qui donnent à un homme le pouvoir de regarder les choses désagréables en face, comme aussi des circonstances heureuses qui permettent à tout homme de profession, habile et possédant des revenus suffisants, d’être plus philosophe qu’un homme pauvre qui a des soucis. C’est pourquoi une illusion très crue en imposera facile-