Page:L'Humanité nouvelle, année 4, tome 2, volume 7.djvu/143

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ment aux esprits au bout inférieur de la gamme, tandis qu’il faut une illusion très subtile pour en imposer aux esprits au bout supérieur. Je me rappelle qu’une fois, peu après la grande grève des Docks de Londres, en 1889, je faisais ma propagande Fabienne devant un assez bigot auditoire socialiste. Un des orateurs fut si fortement frappé par l’illusion dramatique qu’en critiquant les rôles joués par M. John Burns et feu le cardinal Manning, dans cette lutte, il accusa avec véhémence M. Burns d’être une girouette et un lâche renégat, parce qu’il n’avait pas saisi le cardinal par le cou pour le précipiter dans le fleuve. Un autre orateur, d’un esprit plus fin, représenta le danger d’avoir affaire à des radicaux qui venaient se rallier à nos opinions, par une comparaison empruntée à son expérience de coureur de profession, laquelle lui a appris que l’homme à craindre dans une course n’est pas celui qui est le plus loin en arrière de vous, mais bien celui qui est sur vos talons. Donc, concluait-il, un Tory bigot est moins dangereux pour nous que le radical partisan de la nationalisation du sol. Si on compare maintenant ces deux socialistes avec Shelley et Lassalle, par exemple, on ne doutera pas que les premiers étaient des hommes beaucoup moins intelligents que les seconds ; mais dire que l’idéal de Shelley et de Lassalle, tout supérieur qu’il puisse sembler comparé à celui du fraternel orateur qui désirait précipiter le cardinal dans le fleuve, était moins illusoire dans la forme sous laquelle il se présentait à leur esprit, c’est plus que ce qu’un homme sage oserait affirmer.

Le lecteur doit maintenant se garder de l’illusion que d’autres socialistes n’admettent pas cette distinction d’échelle. Il n’en est rien, tous les socialistes la reconnaissent, mais chacun d’eux se considère comme occupant l’extrémité supérieure. Et plus un socialiste est dupe des illusions dramatiques et religieuses, dans leurs formes les plus grossières, plus il est convaincu qu’il s’appuie sur un triple roc d’économie politique scientifique, d’histoire et d’évolution sociale, La manière dont un socialiste, du fond de l’abîme d’une ignorance économique dix fois plus désespérée que l’état d’un bonhomme qui n’a jamais entendu parler de l’économie politique, nous expose des notions obscures qu’il a ramassées sur « la plus-value », le surcroît de production, les crises commerciales, la chute imminente du capitalisme par les lois de son propre développement, et ainsi de suite, est aussi ridicule que la manière dont son adversaire le réfute avec des bribes des prophètes économiques de l’école de Manchester (offre et demande, la question de la population, la loi de la rétribution décroissante, etc.).

Nous arrivons maintenant à la deuxième ligne de l’armée illusionnaire, la demande d’une théorie devant servir non seulement comme une sorte de trapèze pour l’intelligence, mais comme base scientifique pour la foi. Cette demande est absolument générale à présent : l’homme le plus borné, fréquentant une chapelle quelconque, aime à apprendre que les fossiles ont été découverts sur le sommet des montagnes (une preuve que le déluge peut être scientifiquement démontré), et que le nom de Nabuchodonosor a été déchiffre sur les briques babyloniennes. Cependant la vulgarisation des vraies théories scientifiques devient de jour en jour plus impossible parmi ceux qui n’ont pas une éducation secondaire