Page:L'envers de la Guerre - Tome 1 - 1914-1916.djvu/66

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ami. Étienne ayant juré, Joffre frappa la carte du doigt : « C’est là ! s’écria-t-il, c’est là que nous les percerons, que nous les couperons. » Il montrait Soissons où, dans le moment même où il parlait, s’amorçait le pénible échec qui nous coûta des milliers d’hommes et qui, grâce aux artifices du communiqué, n’émut guère l’opinion, mais qui produisit un si fâcheux effet diplomatique.

Ce singulier manque de clairvoyance, chez un homme que le pays considère comme infaillible, est vraiment troublant pour l’avenir.

— Rencontré B…, gouverneur de la Nouvelle-Calédonie, actuellement sous-lieutenant près des Anglais. Absent depuis cinq ans, il s’étonne de la vigueur de la réaction, de son effort de se servir de la guerre pour exalter le catholicisme. Très attaché à Léon Bourgeois, il oppose l’œuvre positive de celui-ci à l’instinct destructeur d’un Clemenceau.

— Hier, Tristan Bernard me lisait une lettre qui signale une trêve, où on chantait en chœur le Noël d’Adam. Cette lettre disait : « C’était drôle, toutes ces voix qui sortaient de la terre. »

— Eh bien, non, quand même ! Il ne faut pas désespérer de la race humaine. L’instinct d’aimer reste le centre rayonnant de l’être, ce qu’il y a de plus beau, de plus pur, le noyau de feu. C’est sa noblesse et son avenir : l’évasion de son grossier égoïsme, le geste vers autrui. Et la guerre, la haine soufflée des deux côtés des frontières, aux pauvres hordes, sous tous les discours, tous les rubans, toutes les rhétoriques, tous les étendards et toutes les musiques, c’est tout de même la gifle en pleine face à l’humanité en marche, c’est l’injonction de tourner bride et de rebrousser chemin, l’insulte suprême.

Peu importe tous les phraseurs qui exaltent la