Page:L'envers de la Guerre - Tome 1 - 1914-1916.djvu/88

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qui demandait Joffre au téléphone : « C’est vous, général ? Ah ! Non. » Puis avec un regard au-dessus du binocle, il avouait à Briand : « Il est couché. »

— Une infirmière dit que les territoriaux sont inquiets sur leurs aptitudes sexuelles, faute d’en avoir fait usage pendant de longs mois.

— Les soldats sont mus, dit-on, par le sentiment patriotique. Or ce sentiment est tout en nuances subtiles. Il y a bien une culture française, de même qu’il y a des vignes qui ne peuvent pousser qu’entre le sol et le ciel français. Mais c’est une notation très fine. Et l’émotion des sites retrouvés, de la langue réentendue, le sens d’être entouré par les œuvres et les souvenirs des morts, tout cela est délicat, impondérable, comme une aile de papillon. Il faut, pour le saisir, un effort de réflexion dont nous n’avons pas encore rendu la foule capable.

On me répond qu’elle en a l’instinct.

— Le 3. Rencontré chez Mme Guillaumet les L…, un jeune ménage d’industriels mulhousiens, qui assista à la première occupation française (7-8 août). Ils n’avaient que de fausses nouvelles depuis le début. Un matin, on crie : « Les Français ! ». Ils n’y voulaient pas croire. Ils pensaient rêver. Folle ovation. Fleurs aux baïonnettes. Les femmes mirent leurs plus belles robes. Les quartiers ouvriers furent les plus ardents. On conseilla aux troupes de camper toutefois hors la ville. Le lendemain, nos avions jetèrent la proclamation de Joffre : « Les Français sont pour toujours à Mulhouse. »

La jeune femme ajoute drôlement : « Une heure après, il n’y en avait plus. »

— Tristan Bernard dit qu’après la guerre tous les Juifs seront renvoyés à Jérusalem et qu’il y fondera le premier journal antisémite.