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UN DIVORCE

tait pour tout de bon. Elle n’avait pas vu Ferdinand depuis le matin ; il était plus de huit heures, et cet homme lui volait les seuls instants de la journée pendant lesquels elle jouissait pleinement de la présence de son mari.

Elle resta tristement assise auprès de son guéridon, remonta sa lampe et reprit sa broderie ; mais bientôt des larmes voilèrent ses yeux :

— Ô mon Dieu ! seule ! toujours seule ! Qu’avait-il besoin de suivre ce Monadier ?

Elle se demanda une centième fois quel plaisir les hommes pouvaient trouver ensemble, à causer de choses si ennuyeuses et à boire en fumant, accoudés. Quel attrait pouvait attacher Ferdinand à cet homme vulgaire ? Quoi ! c’était pour de pareilles gens qu’il la quittait ! Il n’y avait pas là d’affaires ; nul intérêt, nulle obligation. Elle vit bien que c’était en des passe-temps pareils qu’il dépensait désormais ces heures si chères, autrefois consacrées à leur amour. La facilité nonchalante avec laquelle il s’était laissé entraîner par Monadier lui avait révélé cela aussi sûrement qu’une preuve. Oh ! comment ce changement s’était-il fait en lui ?

Oui, Ferdinand avait changé ; il avait encore des transports, mais plus de ces élans de tendresse où, heureux, naïf, reconnaissant et presque pieux, il cherchait à exhaler son bonheur dans l’âme de Claire, en la regardant au fond des yeux. Oh ! serait-il possible que ces joies fussent passées, passées à jamais !

Souvent Ferdinand était distrait, préoccupé d’autre chose. Il semblait avoir perdu le goût du bonheur. Elle ne rencontrait plus son regard qu’après l’avoir longtemps appelé, ou quelquefois par hasard ; et lui qui arrivait autrefois d’un pas si rapide, et qui partait vite parce qu’il