Page:Léo - Un divorce, 1866.pdf/137

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
125
UN DIVORCE

tenant pour que tu ailles à la ville ; il ne faut pas t’en retourner seule la nuit.

Elle se tut d’abord, comme possédée d’une obstination secrète ; mais sur de nouvelles instances, elle dit :

— Je ne veux plus être heimathlose. Mon père est méchant, il m’a battue hier ; prenez-moi à votre service.

— Je n’ai pas besoin de toi, ma pauvre fille, et je ne saurais…

Il se dit pourtant :

— Mais, en effet, ce serait un bien pour elle que de quitter cette vie errante, immorale et misérable. Pourquoi donc refuserais-je de lui aider ?

L’imagination d’Étienne alors s’enflamma à l’idée de sauver cette fille de l’abjection et de la misère, et il lui dit :

— Reviens ici demain : je m’occuperai d’ici là de voir ce qu’on peut faire pour toi, et nous causerons ensemble.

Mais il ne put la décider à s’en aller. Quand il croyait l’avoir persuadée et qu’il s’éloignait, elle continuait de marcher sur ses pas. Il lui parla sévèrement ; elle baissa la tête, mais elle recommença de le suivre bientôt.

Tout autre jour, Étienne se fût mis en colère ; mais le bonheur qu’il éprouvait et les résolutions qu’il avait conçues le rendaient si doux et si patient, qu’il se décida enfin à loger pour ce soir-là cette pauvre fille dans quelque auberge, espérant lui trouver le lendemain des secours et des protecteurs.

Il descendit avec elle le ravin de Montbenon, gagna le quartier Saint-Laurent, et, entrant au café du Nord, dont il avait été l’habitué le plus fidèle avant sa récente conversion, il introduisit la jeune fille dans une petite pièce solitaire du rez-de-chaussée, et fit appeler madame Fontallaz.